viernes, junio 17, 2011

Le féminisme chinois en danger

Par Julia Kristeva, écrivain, présidente du prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes (LE MONDE, 14/06/11):

N’en déplaise à ses détracteurs, le féminisme non seulement n’est pas mort mais, en bénéficiant de la globalisation, il contribue à l’orienter vers plus de liberté pour tous. La participation des femmes au “printemps de jasmin”, la sensibilisation de l’opinion française contre “la violence faite aux femmes”, l’accompagnement du désir de maternité et de ses implications éthiques : autant d’événements qui témoignent d’une nouvelle phase dans l’émancipation féminine.

L’histoire ancienne et récente semble avoir préparé la vitalité combative de cette “moitié du ciel” qu’est le “deuxième sexe” en Chine. Se souvient-on qu’au pays du yin et du yang, du taoïsme et du confucianisme, la révolution bourgeoise fut nationaliste, socialiste et féministe ? Que les suffragettes chinoises avaient envahi le Parlement en 1912 ? Que le Mouvement pour les droits des femmes inspira le Mouvement du 4 mai 1919 pour exiger, déjà, l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, l’abolition de la polygamie, la liberté du mariage, l’enseignement supérieur pour les filles ? Que la loi du mariage de la Chine communiste (1950) abolit “le chef de famille” et permet à la mère de garder son nom et de le léguer aux enfants ; tandis que le travail de la ménagère lui donne droit à la propriété ?

Pressions, harcèlements

Aujourd’hui, de plus en plus nombreuses sont celles qui ne se contentent pas de participer à l’essor du géant émergent, ni même de protester d’en être les “laissées-pour-compte”. Ni victimes consentantes de l’intégrisme religieux qu’on déplore sous d’autres régimes, ni dociles exécutantes du marketing hyperconnecté, elles ne se laissent pas non plus intimider par les manquements aux droits de l’homme. De plus en plus nombreuses sont les femmes qui défendent et promeuvent les droits des femmes. Elles ont conscience d’oeuvrer en faveur des réformes sociales et de l’évolution vers une démocratie constitutionnelle, en incitant les autorités de l’Etat à mettre en pratique les conventions internationales que la Chine a signées, ainsi que les articles de la Constitution du 4 décembre 1982 traitant des libertés individuelles (art. 33-37). Tout en dénonçant les scandales, les abus, les corruptions.

Ce sont ces femmes aussi qui subissent pressions, harcèlements et intimidations. Ces durcissements s’ajoutent au climat de surveillance accrue sur Internet et au contrôle resserré qu’exercent tous les services de censure, craignant la contagion des rébellions du Proche-Orient et des pays de la Méditerranée.

En janvier 2010, les membres du jury du prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes ont choisi d’honorer deux Chinoises pour leur oeuvre et leurs actions exemplaires dans le combat des femmes : Guo Jianmei, avocate, et Ai Xiaoming, professeur de littérature comparée et cinéaste. La cérémonie de remise du prix, à Paris, au début du mois de janvier 2010, n’a eu lieu qu’en présence de Guo Jianmei, Ai Xiaoming n’ayant pas reçu l’autorisation de sortir du territoire chinois.

Avocat de formation, membre de l’association des avocats de Chine et vice-présidente de l’association des femmes avocates de Pékin, Guo Jianmei a fondé, au sein de l’université de Pékin, l’ONG Etudes féministes en droit et centre d’aide juridique, qui oeuvre, par la défense et la promotion de changements dans le dispositif législatif, à l’amélioration de la condition des femmes en Chine. Au mois de mars, elle fut la première lauréate chinoise de l’International Women of Courage Award 2011, qui lui a été remis par Hillary Clinton.

Ai Xiaoming est professeur au département de langue et de littérature chinoises, directrice de la section de littérature comparée, à l’université Sun Yatsen, à Guangzhou. En plus de ses recherches académiques sur la condition féminine, Ai Xiaoming est aussi reconnue, pour ses documentaires qui traitent aussi bien des violences faites aux femmes, que de la difficulté de vivre avec le sida, des conséquences dramatiques du tremblement de terre au Sichuan, ou des problèmes du monde paysan.

Deux mois après la réception du prix Simone de Beauvoir 2010, en mars 2010, Guo Jianmei nous avait alertés sur l’exclusion de son ONG par l’université de Pékin. Nous sommes de nouveau inquiets : Ai Xiaoming est aussi victime depuis quelque temps de multiples formes d’intimidation : violations de domicile, harcèlement téléphonique et menaces de mort.

Déni machiste

L’opinion a accueilli avec étonnement la puissance du tennis de Li Na et la force de son caractère qui, en s’affranchissant des pesanteurs administratives de son pays et en défiant des concurrentes plus expérimentées, ont fait de cette jeune Chinoise la nouvelle championne de Roland-Garros : un exploit qui rejaillit sur l’image internationale de la Chine. Pourtant, l’intérêt que la communauté internationale porte à l’économie chinoise ainsi que le déni machiste plus ou moins conscient et lui aussi globalisé qui s’oppose à l’expression des femmes empêchent de prendre la juste mesure de ces combats exemplaires que des Chinoises telles que Guo Jianmei et Ai Xiaoming mènent pour la liberté des femmes et des hommes.

Nous appelons celles et ceux qui sont convaincus que le respect et l’émancipation des femmes sont des droits inaliénables à se joindre à nous pour faire connaître aux autorités chinoises leur inquiétude et leur soutien à Guo Jianmei et à Ai Xiaoming. “La femme libre est seulement en train de naître”, écrivait Simone de Beauvoir. Elle poursuit sa longue marche en Chine : un espoir de liberté pour la planète de demain.

Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona

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