lunes, abril 11, 2011

Les obstacles à une réconciliation en Libye

Par Bruno Callies de Salies, enseignant-chercheur (LE MONDE, 05/04/11):

Alors que les opérations militaires et les réunions internationales se succèdent pour créer la Libye nouvelle, le vieil antagonisme entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque, la vie politique depuis l’indépendance, et l’héritage du promoteur de la Jamahiriya pèsent lourdement sur l’avenir.

La Tripolitaine, la Cyrénaïque, et le Fezzan précoloniaux regardant respectivement vers le Maghreb, l’Egypte, ainsi que vers le Tchad et le Niger, le roi Idriss Ier règne sur une fédération au lendemain de l’accession à l’indépendance en 1951. Les tensions pour la redistribution d’une rente pétrolière alors médiocre, à partir de 1959, et une politique pro-occidentale suscitent les critiques des Frères musulmans, des Nassériens, et des sympathisants du Bass. Le monarque réplique en décidant de façon autoritaire de mettre fin au fédéralisme en 1963. Mouammar Kadhafi ne remet pas en cause cette organisation, après le coup d’Etat de 1969, mais favorise des alliances tribales pour gouverner. Le régime nationalise les intérêts étrangers, et reconsidère les concessions pétrolières. Il est contraint de revenir sur la socialisation de l’économie avec la baisse sensible des revenus des hydrocarbures et la chute du dollar au milieu des années 1980.

Sa tribu (Kadhafia) et quelques autres (Warfallah, Maghara) s’accaparent les richesses du pays. Cette situation est nettement perçue au lendemain de l’embargo (1992-1999) décidé par l’ONU après l’attribution d’attentats contre un avion français et américain. Il réagit en élargissant les cercles du pouvoir, et en redistribuant davantage la rente pétrolière. Les populations de la Cyrénaïque n’ont cependant jamais accepté le renversement de la monarchie Sénoussie. Des tentatives de coup d’Etat viennent d’officiers de l’armée, parfois originaires de cette région, jugés et pendus. Les islamistes du Groupe islamiste combattant de Libye (GICL), réfugiés dans les reliefs du Jebel Al Akhdar, sont délogés par des opérations militaires et des bombardements pendant les années 1990. Au total, le colonel Kadhafi n’a jamais pu établir de relations satisfaisantes avec les tribus qui comptent dans la région, bien que sa seconde épouse (de la tribu des Brassia) vienne d’Al-Beïda.

La violence et l’absence de vie politique caractérisent aussi bien la monarchie Sénoussie que le régime de Kadhafi à un degré évidemment différent. A l’issue des élections du premier Parlement, favorables aux monarchistes fédéralistes, les forces de police du roi tirent, à Tripoli en février 1952, sur les manifestants du Parti du Congrès. Elles ouvrent à nouveau le feu, à Benghazi en janvier 1964, sur des étudiants rassemblés pour soutenir le sommet arabe du Caire, réuni afin de chercher à empêcher le pompage des eaux du Jourdain par Israël. La disparition du Parti du congrès, entre temps dissous, met fin à toute vie politique.

Dans le contexte de la guerre froide et d’extrême pauvreté du pays, en 1951, Idriss Ier s’est engagé pour vingt ans à louer aux Etats-Unis une base (Wheelus Field), et a signé pour la même durée un traité anglo-libyen (facilités militaires, maintien de bases, harmonisation de la politique étrangère) faute d’avoir pu obtenir l’aide financière d’un pays arabe. Cette politique provoque d’importantes manifestations dans tout le pays lors de la guerre des Six jours (1967). La modération des sentences prononcées contre 94 Libyens et 12 étrangers, lors d’un procès en 1968, vise à limiter le mécontentement populaire, et à ne pas stimuler les courants d’opposition notamment nassérienne. Cela n’empêche pas un groupe d’officiers unioniste libres de l’armée de tenter et de réussir un coup d’Etat le 1er septembre 1969.

Mouammar Kadhafi, en créant un Etat inspiré de l’Egypte de Nasser (Constitution provisoire, parti unique) et en s’engageant dans une Union des Républiques arabes unies finalement avortée, suscite l’hostilité de ses pairs, la passivité de l’administration, la méfiance de la bourgeoisie urbaine. Il en appelle aux masses ou Jamâhîr (couches défavorisées, population rurale, tribus) dans un discours, à Zwara en avril 1973, pour reprendre le pouvoir. Il les invite à se réunir dans des Congrès populaires rassemblant tous les citoyens, avec au sommet un Congrès général du peuple (assemblée nationale). Les citoyens présents dans ces structures élisent les Comités populaires, avec au sommet le Comité populaire général (gouvernement). Les Comités révolutionnaires – les partisans du régime – constituent une véritable milice ou parti unique, surveillant le fonctionnement du système, orientant les discussions, et présentant des candidatures. Le peuple gouverne directement et évite ainsi la confiscation de son pouvoir par les partis et l’administration. C’est la “troisième théorie universelle”, définie dans son Livre vert par Mouammar Kadhafi, entre démocratie et socialisme. La socialisation de l’économie a par ailleurs permis de faire disparaître la bourgeoisie, et la création récente de sociétés par actions (dont le capital est réparti entre des familles modestes) a empêché la reconstitution d’une classe bourgeoise. Seïf al-Islam Kadhafi, un des fils du colonel, a proposé très maladroitement en 2008 des réformes que les Comités révolutionnaires ont refusé par crainte de perdre leurs pouvoirs et de voir diminuer les profits matériels qu’ils tirent de ce système.

Les relations difficiles entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque, depuis l’indépendance, laissent difficilement espérer une réconciliation nationale, et la déstructuration complète de la vie politique comme du tissu économique ne permettent guère d’envisager l’édification d’un Etat moderne avant longtemps. L’extrême violence du régime pour écraser l’insurrection, déclenchée à Benghazi le 15 février, a ravivé l’antagonisme régional enfoui dans la mémoire collective car la population (massivement composée de jeunes) n’en connaît guère les étapes.

Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona

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