Par Raphaël Gutmann, consultant à Terra Cognita et professeur à l’ESG-Management School (LE MONDE, 24/05/11):
Après 34 ans de pouvoir ininterrompu, le Bengale occidental – l’un des Etat les plus peuplés de l’Inde – a infligé une défaite historique au gouvernement communiste à la plus grande longévité du monde démocratique. Calcutta et sa région seront désormais gouvernées par une femme politique indépendante : Mamata Banerjee du Trinamool Congress. Cet événement régional peut paraître anecdotique pour certains, mais il est en réalité révélateur des changements profonds de la société indienne, et de l’avenir du communisme et du marxisme dans le monde.
Ce verdict électoral marque une rupture dans l’histoire politique indienne. La longévité du gouvernement communiste bengali – en place depuis 1977 –, ainsi que l’influence de cette mouvance sur les affaires nationales, distinguaient ce pays dans le monde démocratique de l’après Chute du mur de Berlin. Alors que les communistes français et italiens ont depuis longtemps été relégués au statut de force politique marginale, le Parti communiste de l’Inde – marxiste (PCI-M) a continué à jouer un rôle déterminant après 1989 : la Lok Sabha – la chambre basse du Parlement – était ainsi présidée, jusqu’en 2009, par l’un de ses membres, qui fut cependant exclu du parti quelques mois avant la fin de son mandat.
La défaite historique du Front de gauche au Bengale occidental peut s’expliquer par trois raisons. Tout d’abord, on peut discerner l’usure du pouvoir et la volonté d’alternance de la population bengalie. L’un des thèmes de campagnes de l’opposition aura justement été le mot Paribartan, le “changement”, un concept rendu très populaire depuis l’élection de Barack Obama. Une partie des votes en faveur de Mamata Banerjee ont davantage exprimé cette volonté de rupture qu’une adhésion à sa personne. Les Bengalis ont, en effet, le sentiment, en grande partie fondé, que leur Etat et sa ville principale connaissent un déclin depuis plusieurs décennies, Calcutta ayant été notamment la capitale de l’Empire des Indes britanniques jusqu’en 1911. La décadence n’a pas démarré avec l’arrivée des communistes, mais cette impression n’a fait que croître depuis leur prise de pouvoir.
La seconde raison de la défaite de la coalition menée par le PCI-M provient de son échec à passer d’une économie très réglementée à un modèle dit de capitalisme rouge, d’inspiration chinoise. Le Chief Minister sortant, Buddhadeb Bhattacharjee, se projetait en Deng Xiaoping du Bengale. Toutefois, les réflexes démocratiques indiens l’ont empêché d’imposer par la force, comme c’est possible en Chine, l’ouverture aux grands groupes indiens et étrangers. L’événement le plus marquant de cette transition ratée a été la crise de Singur. Dans cette commune, le groupe industriel Tata devait produire la Nano, la voiture la moins chère du monde. Mais face à la colère de paysans dépossédés de leur terre et l’instrumentalisation de la contestation par Mamata Banerjee, le gouvernement dut reculer et Tata déplacer ses usines vers l’Etat beaucoup plus libéral du Gujarat. Les violences policières ont sapé la popularité du PCI-M auprès de l’électorat paysan, dont il avait acquis le soutien grâce à des réformes et une redistribution foncières uniques en Inde.
La troisième raison correspond sans doute à l’évolution de la mentalité indienne, et bengalie en particulier. La classe moyenne disparate de ce pays – qui fascinent tant les économistes – exprime le désir d’intégrer le mouvement de mondialisation économique. Son goût évident pour la consommation confirme cette tendance. Or ces “nouveaux riches”, qui rêvent de produits et de luxe occidentaux, ne s’identifient évidemment pas à un régime perçu comme une relique du passé, et qui forme, selon l’expression de Max-Jean Zins, l’une des composantes de l’“exception indienne” par rapport au reste du monde. D’une certaine manière, on pourrait dire que cette classe moyenne souhaite que l’Inde cesse d’être un pays “exceptionnel” pour devenir un pays “normal” au sein du système international globalisé.
Qu’en est-il alors de l’avenir de la mouvance communiste en Inde? La lucidité de son leadership est frappante. Il est, depuis de nombreuses années, conscient des raisons de son affaiblissement, l’une d’entre elles étant, au niveau national, la montée en puissance de partis de basses castes qui monopolisent le vote du prolétariat. Toutefois, l’appareil est trop rigide pour appliquer les transformations nécessaires visant à s’adapter à la scène politique indienne contemporaine, ce qui met en péril sa survie. Cependant, il faut remarquer que la faillite de ce mouvement ne signifie pas pour autant la marginalisation de la pensée marxiste. Une partie de l’intelligentsia se revendique toujours du maître allemand. Dans une Inde mondialisée et dans laquelle les fractures sociales et économiques ne font que se creuser, le questionnement marxiste continuera à être utilisé. Dans ce sens, l’Inde se trouve dans une situation assez proche de l’Occident, la récente crise du capitalisme redonnant au marxisme une vitalité renouvelée au cœur de nos débats.
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
No hay comentarios.:
Publicar un comentario