viernes, febrero 04, 2011

Les Belges ont appris à se gouverner seuls

Par Frank De Bondt, journaliste et écrivain belge (LE MONDE, 03/02/11):

La crise belge semble intéresser davantage les Français que leurs voisins eux-mêmes. C’est du moins le sentiment que l’on a lorsque des amis parisiens nous apostrophent, désorientés par une situation qui paraît inconcevable dans la République. Certes, la Belgique n’a plus de gouvernement depuis bientôt neuf mois. Mais elle dispose d’une roue de secours, qui a déjà pas mal servi : un gouvernement de large coalition – comme tous les gouvernements du pays depuis des décennies – chargé d’expédier les affaires courantes. Qu’y-a-t-il de plus important, de plus urgent que des affaires courantes ? Rien. Au moins un tel exécutif ne risque-t-il pas d’importuner les citoyens. Il leur fiche la paix. Interdit le minimum, tolère le maximum et se garde de toute initiative susceptible d’enquiquiner des gens soucieux avant tout de vivre en paix.

L’étranger qui a visité le royaume, si peu royal du reste, le confirmera : le Belge sait vivre. Entendez par là qu’il vit bien, oublie de se prendre au sérieux et aussi de se prendre la tête. Il apprécie quiconque ne trouble ni son confort ni sa bonne humeur, face visible d’un humour irréductible. Il ne rêve ni de révolution ni de changer le monde, n’envisage pour son pays aucune fusion avec l’un de ses arrogants voisins français, allemand ou hollandais dont il garde un mauvais souvenir des “visites” passées. Il demande simplement qu’on lui reconnaisse le droit de se méfier des ingérences de la puissance publique. Un Etat faible, un pouvoir décentralisé et un gouvernement absent : quoi de plus séduisant ? A l’inverse de la France, construction ultra-centralisée, dirigée par un monarque névrosé, la Belgique est un Etat fédéral, et même quasiment confédéral, au sein duquel la plupart des décisions intéressant les personnes sont prises à l’échelon régional et communautaire.

L’éducation, la culture, les transports, l’emploi, l’essentiel de ce qui touche à la vie quotidienne (et demain sans doute la sécurité sociale) sont des domaines qui relèvent exclusivement des gouvernements régionaux (Flandre, Wallonie, Bruxelles) ou communautaires (flamands, francophones, germanophones) qui, eux, sont en place et fonctionnent de manière autonome. Le gouvernement fédéral voit son champ d’action très réduit, dès lors que la défense, c’est l’Otan, la monnaie, l’euro, la politique étrangère, une plaisanterie, et que la justice est indépendante. Au lieu de compatir aux malheurs de cette pauvre Belgique, ne serait-il pas plus judicieux de la donner en exemple à tous ceux qui en ont soupé des discours souverainistes, nationalistes et autoritaires ? Ou qui ne cessent de dénoncer la multiplication de lois liberticides ou de lois inapplicables et inappliquées qui ne servent qu’à embêter le monde et à mener les citoyens comme du bétail.

LA PUISSANCE DE L’ETAT-NATION FAIT LE MALHEUR DU PEUPLE

En dépit de son instabilité gouvernementale chronique, la Belgique est le troisième fournisseur de la France, derrière l’Allemagne et à quasi égalité avec la Chine. Elle enregistre un excédent commercial qui, rapporté au nombre d’habitants, n’a rien à envier à celui de l’Allemagne. Parce que ses forces vives s’investissent ailleurs que dans la politique. Ses comédiens, écrivains, chorégraphes, chanteurs, couturiers, designers ont envahi le marché français, au point que Paris n’hésite pas à les repeindre parfois en bleu, blanc, rouge pour se rassurer sur le niveau de son génie.

La leçon donnée par la Belgique, s’il y en a une, est celle d’un pays capable de se conduire seul, où les citoyens ont appris à se gouverner comme des adultes responsables. N’est-ce pas l’objectif que devrait poursuivre toute démocratie ? Délestés de leur pouvoir par la mondialisation économique et la révolution Internet, les gouvernements nationaux n’ont-ils pas révélé, derrière de pitoyables gesticulations, leur inefficacité et leur inanité face à la crise financière ?

La sagesse commanderait d’en revenir à de modestes gouvernements de la cité. Les finances publiques s’en trouveraient d’ailleurs mieux. Que chacun s’occupe donc de soi et que des élus, porteurs de mandats limités dans le temps, se consacrent à l’organisation de la solidarité indispensable à la vie collective. Méfions-nous des dirigeants qui nous offrent leur protection, alors qu’ils ne servent que leurs propres intérêts. Et rappelons-nous que la puissance de l’Etat-nation – surtout si elle est illusoire – fait le malheur du peuple.

Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona

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