Par Giulia Romano, assistante de recherche au CERI-Sciences Po/CNRS (LE MONDE, 14/06/11):
Aujourd’hui, la Chine est le pays qui se trouve au coeur de la question climatique.
Récemment devenue la deuxième puissance économique mondiale et le premier consommateur d’énergie, elle détient également le triste record de premier émetteur d’anhydride carbonique (CO2). Selon le Carbon Dioxide Information Analysis Center (CDIAC) du Département de l’énergie des États-Unis, en 2007 la Chine a émis plus de 6,5 milliards de tonnes de CO2, ce qui représente 22,30 % du total mondial. La même année, les États- Unis et l’Union européenne à 27 représentaient respectivement 19,91 % et 14,04 % du total, suivis de l’Inde avec 5,50 %. Selon les statistiques de la PBL Netherlands Environmental Assessment Agency1, on a assisté, en 2009, à une réduction de 7 % des émissions de CO2 dans les pays de l’OCDE, du fait de la récession économique déclenchée par la crise financière américaine de 2008. Toutefois les effets de cette baisse ont été annulés par une hausse des émissions chinoises et indiennes, qui ont respectivement augmenté de 9 % et de 6 %. En sa qualité de principal contributeur mondial au problème du changement climatique, la Chine a été la cible de l’attention internationale quant au rôle qu’elle a joué à la Conférence de Copenhague dans les négociations de l’après-Kyoto.
En dépit de son engagement clair dans l’accord final conclu à cette conférence de décembre 2009, la Chine a été montrée comme principale responsable du manque d’ambition de ce document. En fait, le pays s’est retrouvé au centre d’une attaque médiatique, qui l’a désigné comme le “saboteur” et le “pirate” de Copenhague. En effet, les autorités chinoises ont refusé toute réduction contraignante, non seulement pour leur pays, mais aussi pour l’ensemble des pays développés. Cette attitude a été perçue comme contre-productive en matière de lutte contre le changement climatique et en profonde contradiction avec un discours qui soulignait que les pays les plus riches devaient assumer une responsabilité particulière dans les efforts dans les efforts de modération. Les critiques sont venues, non seulement des pays développés, en particulier de l’Union européenne, mais aussi des pays en voie de développement dont les objectifs sont de moins en moins compatibles avec ceux de la Chine. Ils considèrent que sa situation économique actuelle rend nécessaire de reconsidérer son statut de “pays en voie de développement”.
Suite à ces critiques, la Chine, à la conférence de Cancun fin 2010, a fait preuve de flexibilité, en adoptant une attitude plus conciliante sur certains points, ce qui a permis quelques avancées. Elle a ainsi adopté plusieurs initiatives visant à informer le reste du monde de ce qu’elle est en train de faire pour réduire ses émissions. Par ailleurs, elle a accepté de se soumettre à un mécanisme de mesure, report et contrôle, spécifique aux pays en voie de développement, qui respecte le principe de “responsabilités communes mais différenciées”. Ce mécanisme, proposé par l’Inde et appelé ICA (International Consultation and Analysis), est un système global qui a pour vocation de surveiller les efforts des pays en voie de développement, tout en respectant la souveraineté de ces États, ce qui était une demande fondamentale pour la Chine. Il a été mis en place par un groupe d’experts qui représentent les pays développés et en voie de développement. Ils doivent effectuer des consultations et analyses tous les deux ou trois ans pour les pays émettant plus de 2 % de CO2 par an et tous les quatre ou cinq ans pour les autres pays. Toutefois, même à Cancun, la Chine a habilement esquivé toute contrainte. Elle s’est limitée à fixer des objectifs unilatéraux de réduction de l’intensité carbone de 40 à 45 % avant 2020, dans le cadre d’une résolution des Nations Unies, et a renvoyé la discussion à la prochaine conférence sur le climat, qui aura lieu fin 2011 à Durban. Face à ce comportement, il est légitime de se demander si la Chine est véritablement une puissance irresponsable ou non. Un rapide état des lieux de sa situation intérieure peut nous fournir quelques éléments de réponse.
L’initiative de transparence adoptée par la Chine au cours de l’année 2010 lui a sûrement été utile pour faire la preuve de ses efforts dans le cadre du XIe plan quinquennal (2006-2010).
Dans toute la presse internationale, on peut trouver des informations sur les énormes investissements que le pays est en train de réaliser en matière d’énergies renouvelables (le solaire, l’éolien et l’hydraulique) et sur ses efforts pour économiser l’énergie. Par exemple, selon une étude du Pew Charitable Trusts, dont les résultats ont été communiqués fin mars 2011, en 2010 la Chine a injecté 54,4 milliards de dollars dans les énergies renouvelables et d’autres projets “verts”, en augmentant de 39 % ses investissements par rapport à 2009.
Dans le même temps, l’Allemagne a engagé 41 milliards de dollars, tandis que le “grand absent de Kyoto”, à savoir les États-Unis, investissaient 34 milliards de dollars. Comment peut-on expliquer ce “virage vert” de la Chine ? Il semble y avoir deux raisons principales.
Tout d’abord, l’une de ses premières préoccupations est sa sécurité énergétique, véritable fondement de la politique contre le changement climatique adoptée en 2007. Son exceptionnelle croissance économique depuis les années 1980 a entraîné une augmentation massive de sa consommation énergétique. Celle-ci est en effet passée de 400 tep (tonne d’équivalent pétrole) en 1978 à 1 820 tep en 2007, avec un accroissement annuel moyen de 5,3 %. A l’époque de Deng Xiaoping, la Chine avait adopté une stratégie de réduction de son impact énergétique, qui visait à quadrupler le PIB de 1980 à 2000, sans augmenter proportionnellement la consommation d’énergie qui devait seulement doubler. Pour atteindre ce but, le gouvernement avait mis en place des politiques d’économies d’énergie et un ensemble d’institutions, au niveau central et local. À la fin de la période programmée, la Chine non seulement avait atteint son but, mais l’avait dépassé, établissant ainsi un record mondial : elle s’illustrait comme le premier pays en voie de développement à enregistrer une croissance économique phénoménale sans connaître une augmentation proportionnelle de sa consommation d’énergie.
Malheureusement, cette tendance ne s’est pas confirmée pendant la période 2001-2006. En fait, au cours de ces cinq années, la Chine a connu une croissance annuelle de son PIB de 10 % qui s’est accompagnée d’une augmentation de sa consommation énergétique d’environ 11,4 % par an. Cette inversion de tendance s’explique par une série de facteurs dont les deux principaux sont l’entrée du pays dans l’Organisation mondiale du commerce et la croissance rapide de ses exportations. Est venue s’y ajouter une urbanisation rapide, qui a fait croître la demande d’acier et de béton, l’amélioration générale des conditions de vie de la population et parallèlement, une réduction de l’attention portée par le gouvernement à la question de l’efficacité énergétique. Toutefois, les fréquentes pénuries d’énergie enregistrées au cours de cette période et la hausse du prix du pétrole en 2004 ont conduit le gouvernement central à repenser sa stratégie de production et à revenir à des objectifs d’économie énergétique. C’est ainsi que, dans le cadre du XIe plan quinquennal, la Chine s’était fixé le but de réduire sa consommation d’énergie de 20 % entre 2006 et 2010 et d’augmenter de 15 % sa production d’énergies renouvelables avant 2020. Ces objectifs, qui ont été atteints au cours de la période considérée, répondaient justement au souci de garantir la sécurité énergétique, point fondamental pour maintenir la tendance qui a permis l’amélioration progressive des conditions de vie de la population chinoise.
La seconde préoccupation majeure de la Chine est la pollution environnementale. La croissance spectaculaire du pays s’est faite aux dépens de l’environnement et, aujourd’hui, les questions de protection de la nature constituent un défi majeur pour toute perspective de développement. De fait, le pays est fréquemment confronté à des problèmes environnementaux : pluies acides, pollution atmosphérique, pollution de l’eau, dégradation des sols, aridité, voire désertification dans le Nord, enfin déforestation. Tous ces phénomènes sont susceptibles d’être amplifiés par le changement climatique, ce qui pose un sérieux problème de sécurité sanitaire au gouvernement chinois. Pour certains experts nationaux tels que Zhang Haibin, le changement climatique constitue un véritable problème de sécurité nationale4. Le gouvernement ne peut rester insensible aux risques d’un tel phénomène, à plus forte raison quand certains de ses effets se font déjà ressentir : effondrement des glaciers du plateau tibétain ou augmentation de la fréquence des tempêtes dans le Sud-Est.
Soucieux de réconcilier développement et environnement, le gouvernement chinois a récemment révélé à la presse internationale les grandes lignes de son nouveau plan quinquennal pour la période 2011-2015. Présenté comme “le plus vert des plan quinquennaux”, ce document a été approuvé par le Congrès national. Il contient de véritables objectifs “verts”, en continuité avec ceux du plan précédent, et vise à confirmer les mesures de réduction des émissions présentées lors du sommet de Copenhague et confirmées à Cancun. Le gouvernement a ainsi prévu de poursuivre sa croissance économique au taux annuel de 7 % tout en diminuant sa consommation énergétique de 16 % et en réduisant de 17 % l’intensité carbone par unité de PIB. En outre, il entend porter la part des énergies renouvelables à 11,4 % en 2015 et envisage d’augmenter sa surface forestière de 21,66 %. La principale nouveauté de ce plan est qu’il mentionne, pour la première fois, le changement climatique en le citant comme l’une des priorités fondamentales du pays, au même titre que la sécurité énergétique. Pour la première fois aussi, le gouvernement a dédié un paragraphe aux engagements de la Chine dans les négociations internationales pour le changement climatique ainsi qu’à la coopération internationale en la matière. Elle a également mis au nombre de ses préoccupations la nécessité de contrôler ses émissions de carbone en expérimentant un système de vente de permis d’émission entre régions chinoises.
Il est donc clair que ce plan fait une large place à la question du développement durable, qui doit nécessairement accompagner la croissance économique du pays. Toutefois des voix critiques ne manquent pas de s’élever, affirmant que ce plan n’est pas suffisamment ambitieux. En effet, si l’on se réfère au plan précédent qui prévoyait une réduction de 20 % de la consommation énergétique, les 16 % prévus pour la période 2011-2015 semblent modestes. Toutefois, l’objectif ambitieux d’une réduction de 20 % a été atteint par le pays au prix de grands sacrifices. Plusieurs gouvernements locaux, qui ne s’y étaient pas du tout préparés, ont dû prendre, à la fin du XIe plan quinquennal, des mesures drastiques pour atteindre les quotas qui leur avaient été imposés. Ces mesures allaient de la fermeture totale des entreprises peu efficaces en matière d’économies d’énergie à la coupure partielle de l’alimentation électrique à l’industrie et aux civils y compris, dans certaines provinces, aux hôpitaux. Pékin a déduit de cette expérience que se fixer des objectifs moins ambitieux mais plus encadrés constituerait une option plus réaliste. Cela donnerait le temps de trouver des solutions spécifiques et moins radicales, tout en acquérant une certaine expertise qui pourrait aider à atteindre à l’avenir des objectifs plus ambitieux, mais aussi encourager d’autres pays émergents à s’engager sur la voix d’un développement durable.
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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