Par Brice Pedroletti, correspondant à Pékin (LE MONDE, 08/06/11):
La Chine va-t-elle s’engager sur le chemin de la réforme politique, et partant, d’une transition démocratique ? La question peut paraître saugrenue au regard de la répression qui s’est abattue ces derniers mois sur les militants les plus engagés de la société civile, comme l’artiste Ai Weiwei et plusieurs avocats connus.
Pourtant, soit que l’hystérie policière a fait long feu, soit qu’elle a galvanisé la contestation, la maison Chine est loin d’être apaisée. Au contraire. Les cadavres sortent des placards. Celui de Mao par exemple, dont l’économiste Mao Yushi, intellectuel contestataire au long cours, qui n’a aucun lien de parenté avec le Grand Timonier, a dénoncé les crimes dans un brûlot publié fin avril par le site d’information Caixin. Il est temps, écrit-il, d’en faire un “être humain ordinaire”, et non plus un dieu.
Il fallait oser, par les temps qui courent. Depuis, les néomaoïstes tentent de le faire taire, donnant en spectacle leur idolâtrie désuète. Autre signe dissonant dans un régime qui a longtemps donné l’apparence du consensus au sommet, Le Quotidien du peuple, l’organe du Parti communiste, a publié en mai une série d’éditoriaux d’un ton nouveau. Ce sont des plaidoyers pour une vision “desidéologisée” des affaires publiques, où dominerait le respect de la pluralité et du droit d’expression. Sur le terrain de l’action civique, le sociologue Yu Jianrong, académicien, peintre, documentariste, a remplacé Ai Weiwei comme agitateur en chef de la Toile chinoise. Il est le promoteur d’une nouvelle campagne de vote citoyen relayée par les réseaux sociaux…
Le spectre d’une “révolution du jasmin” en Chine, qui a fait si peur à l’appareil sécuritaire, a laissé place à celui d’une implosion sociale. Il est urgent “d’améliorer et d’innover” en matière de “gestion sociale”, a plaidé le président Hu Jintao fin mai, lors d’une réunion du bureau politique consacrée aux “contradictions sociales majeures” qui ont défrayé la chronique, sous la forme d’immolations par le feu, d’attentats revanchards de pétitionnaires éconduits, ou bien “d’incidents de masse”, c’est-à-dire de manifestations. Le “maintien de la stabilité”, priorité numéro un du régime depuis les Jeux Olympiques de 2008, fait régner les vieilles méthodes de la répression sans discernement – tout ce qui est instable est politiquement “subversif ” et “contre-révolutionnaire” – et a remis en question la constitution de l’Etat de droit programmée lors de l’ouverture économique à la fin des années 1980.
Cette approche est dénoncée aujourd’hui comme simpliste et contre-productive. Yu Jianrong fait partie de ceux qui tentent de promouvoir une version “dynamique” du “maintien de la stabilité” – lors de séminaires pour cadres du parti et de la police – en accord avec le niveau de développement de la Chine d’aujourd’hui. Cette vision modérée et progressiste est celle que promeut une aile libérale du parti – notamment dans les éditoriaux du Quotidien du peuple, qui se veulent pédagogiques, ou les discours du premier ministre, Wen Jiabao.
Elle s’appuie aussi sur le constat, de plus en plus ouvertement débattu, que la dérive néototalitaire actuelle profite à des groupes d’intérêts puissants, sous prétexte de servir une ligne politique qui n’a plus guère de pertinence. Au-delà, l’offensive libérale vise bien sûr à démontrer la nécessité de mener des réformes politiques longtemps retardées, notamment en adoptant des contre-pouvoirs efficaces.
Ce débat de la réforme politique, longtemps escamoté par un Parti communiste tout-puissant, confiant dans son bilan économique, est-il en train de devenir incontournable ? “Le temps où nous pouvions éviter de débattre est révolu”, a récemment déclaré l’intellectuel Zhang Musheng en présentant son dernier livre, qui revisite le courant de “nouvelle démocratie” préconisé par Liu Shaoqi, l’ancien président chinois purgé par Mao en 1968. Malgré la progression insolente du PIB chinois, la classe moyenne urbaine, dont le niveau de vie approche celui des pays développés, souffre, en l’absence d’un véritable Etat de droit, de ne pouvoir séculariser ses acquis. Dans les campagnes, tout un tiers-monde chinois, dont les ouvriers-migrants font tourner les usines de l’atelier du monde, est lui assez conscient de ses droits formels pour être déterminé à les défendre.
Riches ou pauvres, les Chinois nourrissent un sentiment de défiance extrême vis-à-vis du pouvoir local ou des administrations, petites et grandes, qui gèrent la vie des gens. “Quand le PIB par tête dépasse un certain seuil, les gens ont forcément d’autres aspirations que celles de la satisfaction des besoins matériels. Ils ont besoin de prendre part aux affaires qui les concernent”, expliquait récemment un des candidats indépendants aux sièges de députés de base dans les districts des grandes villes. Le “pacte de croissance” qui préside, depuis l’écrasement du printemps de Tiananmen il y a 22 ans, aux rapports entre la société et l’Etat-parti – la progression du niveau de vie contre une abstention politique généralisée – ne suffit plus. Les Chinois ont soif de participation politique.
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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