Par Helmut Reisen, directeur de recherche au Centre de développement de l’OCDE et Jean-Philippe Stijns, économiste (LE MONDE, 06/06/11):
Le terme d’”aide crapuleuse” (rogue aid, en anglais) est aujourd’hui clairement inadéquat pour caractériser la coopération des nouveaux partenaires, en particulier la Chine, avec les pays pauvres d’Afrique.
Ce concept apparu dans le prestigieux magazine américain Foreign Policy au début 2007 véhicule plusieurs idées reçues sur l’impact de cette aide d’un type nouveau : détérioration des normes de gouvernance en Afrique, ré-endettement, désindustrialisation, acculement à la production de produits de base non transformés, etc. Ce faisant, le concept est triplement inadéquat : non seulement ce qu’offrent ces nouveaux partenaires n’est pas vraiment de “l’aide”, mais de surcroît ils ne se conduisent pas en “crapules”, pas plus qu’ils ne sont perçus comme tels par les africains eux-mêmes.
Il n’est plus besoin de rappeler l’importance des pays émergents pour l’Afrique. Sur la base des données les plus récentes, l’édition 2011 des Perspectives économiques en Afrique montre comment, en l’espace d’une seule décennie, ces pays sont passés d’une relative marginalité au premier rang des partenaires commerciaux de l’Afrique. Les Perspectives définissent ces nouveaux partenaires comme les pays qui n’étaient pas membres du club de donateurs occidentaux – c’est-à-dire Comité d’aide au développent de l’OCDE – à l’orée du millénaire. En tête de peloton se trouvent la Chine, l’Inde, le Brésil, la Corée et la Turquie, non seulement par le volume de leurs relations économiques avec les pays africains, mais aussi par la diversité des pays et de secteurs dans lesquels ils interviennent sur le continent.
Quels partenaires économiques aident le plus efficacement les pays africains dans la réalisation de leurs objectifs de développement ? Les nouveaux partenaires sont perçus, sur place, comme plus efficaces que les partenaires traditionnels ou les institutions multilatérales dans les domaines de l’infrastructure, y compris l’eau, le transport et l’énergie, et de l’innovation. Ces résultats sont d’autant plus frappants quand on considère les efforts des donateurs traditionnels dans ces domaines.
La coopération économique entre l’Afrique et ses partenaires émergents représente bien plus que la “Chinafrique”, elle dépasse le cadre des échanges commerciaux, et de plus en plus celui de l’extraction des matières premières. Les partenaires émergents offrent des financements plus souples, une expertise, de la technologie et de la formation plus appropriées, des infrastructures abordables et livrées rapidement, des médicaments génériques, des machines et des biens de consommation adaptés.
De manière encore plus cruciale, les gouvernements africains ont vu s’élargir leur “espace de politiques” (policy space, en anglais), terme jargonneux qui signifie qu’ils ont accru leur capacité à prendre les décisions nécessaires pour poursuivre leurs propres objectifs de développement et non plus ceux de leurs donateurs, mettant fin à des décennies de dépendance quasi-unilatérale à l’égard des bailleurs occidentaux. Et comme l’Afrique est un continent sujet aux chocs, il est plus prudent pour elle de dépendre d’un nombre plus large de partenaires et de clients.
Il n’y a pas que la “Chinafrique”. Le commerce entre les pays africains et leurs partenaires émergents a progressé à une vitesse prodigieuse au cours de la dernière décennie. La part du commerce de l’Afrique avec les partenaires émergents a doublé pour atteindre près de 40 %. La part des émergents dans le commerce africain est maintenant comparable à celle de l’Union européenne alors qu’elle ne représentait que la moitié de celle-ci au début de la décennie. En 2009, la Chine a remplacé les Etats-Unis comme premier partenaire commercial de l’Afrique.
Alors, l’Afrique est-elle en train de passer d’une dépendance, post-coloniale, à une autre, envers la Chine ? Les tendances récentes sont bien plus prometteuses : l’Afrique a désormais le choix dans ses partenariats. Ainsi, la Chine n’a pas remplacé l’Occident comme partenaire exclusif. En fait, lorsqu’on fait abstraction de cette dernière, on se rend compte que tous les autres partenaires émergents pris ensemble représentent plus d’une fois et demi le commerce de l’Afrique avec la Chine.
Et cela va bien au delà du commerce. Les nouveaux partenaires offrent de nouveaux mécanismes de financement. La Chine, l’Inde et le Brésil en particulier offrent des modalités alternatives de financement du développement. Ces nouveaux acteurs brouillent les frontières traditionnelles entre investissement et aide publique au développement ; entre commerce et aide ; et entre l’action du secteur public et celle du privé. L’aide n’est qu’un outil parmi d’autres dans la boîte à outils de leur coopération économique. Ceci reflète une différence marquante entre la philosophie de coopération des bailleurs traditionnels et celle des nouveaux partenaires. La “charité” à l’occidentale met l’accent sur l’”aide” qui cherche à réduire la pauvreté. Le modèle “asiatique”, en revanche, met l’accent sur le potentiel du partenaire et cherche à développer des bénéfices mutuels. En fait, cette dernière approche est comparable à celle du Japon jadis dans sa coopération avec la Chine.
Et il est n’est pas question que d’approvisionnement en matières premières. Beaucoup seraient surpris d’apprendre que la croissance du commerce africain n’est pas seulement basée sur les ressources naturelles. Les produits manufacturés constituent en fait une part croissante des importations des pays émergents en provenance d’Afrique, tandis que la part de ces produits dans les importations des partenaires traditionnels de l’Afrique est en baisse. De même, les flux d’investissement direct étranger en provenance des nouveaux partenaires sont en réalité moins concentrés dans les pays africains exportateurs de pétrole que ceux des pays de l’OCDE.
Bien entendu, ces nouveaux partenariats n’en présentent pas moins des défis importants pour les pays africains. Les autorités africaines doivent s’assurer qu’elles obtiennent pour leur pays une répartition juste des bénéfices économiques mutuels découlant de ces nouveaux partenariats ; que ceux-ci sont partagés de manière équitable à travers la société ; et que la concurrence joue en faveur des pays africains plutôt que les dresser les uns contre les autres.
On ne peut pas attendre d’un petit pays d’Afrique qu’il mène seul une négociation d’égal à égal avec un grand pays émergent. Mais grâce à l’amélioration des infrastructures transfrontalières, les pays africains peuvent aujourd’hui approfondir significativement la coopération régionale et l’intégration économique qui représente le moteur du développement durable à venir. Une plus grande transparence de la part des partenaires émergents de l’Afrique permettrait de dissiper les mythes que certains africains et de trop nombreux bailleurs dans les capitales occidentales entretiennent à leur sujet.
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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