Par Luis Martinez, directeur de recherche au CERI – Sciences Po – CNRS (LE MONDE, 05/04/11):
La chute du président Ben Ali en Tunisie et celle de son homologue égyptien Hosni Moubarak ouvrent une ère nouvelle dans le monde arabe. Les révoltés de Tunis et du Caire sont parvenus, au nom de la démocratie, à chasser des chefs d’État déconsidérés. Ce qui semblait inimaginable et impensable il y a peu s’est produit. Ces événements sont-ils annonciateurs d’une vague démocratique dans le monde arabe ? Les États rentiers, comme l’Algérie et la Libye, sont-ils mieux à même de résister ? En d’autres termes, la rente pétrolière peut-elle constituer un obstacle à la vague démocratique ?
L’expérience irakienne sous Saddam Hussein montre que les pressions intérieures et les intimidations extérieures ont peu d’effets sur un régime autoritaire pétrolier, convaincu qu’il n’a d’autre choix que de détruire ses adversaires pour survivre. Depuis quelques semaines, la situation politique du régime libyen démontre que le précédent irakien est en passe de se répéter. Mouammar Qadhafi aujourd’hui, comme Saddam Hussein hier, est disposé à détruire ceux qui le menacent de l’intérieur : sa longue expérience du conflit avec la communauté internationale lui laisse espérer que, s’il parvient à se maintenir au pouvoir, les grandes puissances démocratiques qui le condamnent aujourd’hui enverront demain des délégations d’hommes d’affaires pour renouer les liens.
En fait, les révolutions dans le monde arabe permettent de tester l’hypothèse d’une particularité des régimes autoritaires pétroliers. En effet, le succès des soulèvements en Tunisie et en Égypte a démontré que ces deux régimes ne pouvaient pas avoir recours à la violence de masse pour se maintenir : leurs économies, fortement dépendantes de l’industrie du tourisme, des investissements étrangers et des aides internationales, en seraient anéanties. Aussi, le sacrifice du chef de l’État et de son parti politique constitue une option de sortie qui permet de restaurer une certaine stabilité indispensable au redémarrage de l’économie. En revanche, en Libye et en Algérie, les revenus extérieurs du régime proviennent à 95 % de la vente des hydrocarbures ; la communauté internationale hésite donc à intervenir car imposer un embargo sur la vente du pétrole reviendrait à encourager la spéculation sur les craintes liées à l’approvisionnement en pétrole et conduirait ainsi à une augmentation du prix du baril… Les révoltes et émeutes qui se produisent sous de tels régimes ont un impact limité, les campagnes de presse internationales sont ignorées et les sanctions internationales aisément contournées. Le recours à la violence de masse apparaît donc comme le seul moyen de se maintenir aux affaires.
Dès lors, ce que Ben Ali et Moubarak n’ont pas pu ou osé faire, à savoir basculer dans un processus de terreur afin de rester au pouvoir, Qadhafi, lui, aujourd’hui le fait, s’inspirant en cela de Saddam Hussein ou de l’Algérie des généraux (1992-1998). La rente pétrolière donne au régime l’assise financière qui lui permet de mettre en oeuvre un processus de terrorisation dont les expériences irakienne et algérienne démontrent les effets destructeurs sur les sociétés. En février, le régime de Qadhafi était en situation de survie : les insurgés projetaient de marcher sur Tripoli, le Tribunal international de la Haye envisageait des poursuites et les avoirs libyens à l’étranger étaient gelés.
Pourtant, le pouvoir a réagi avec l’énergie du désespoir et a engagé une reconquête militaire des villes libérées par les insurgés. Le tremblement de terre au Japon dont les conséquences ont été rendues plus dramatiques encore par le risque de catastrophe nucléaire a eu tendance à faire passer la situation libyenne au second plan. Sans pression ferme de la part de la communauté internationale, il est à craindre que la population libyenne ne paye le prix fort du maintien d’un régime de terreur. Alors que la population, inspirée par les exemples tunisien et égyptien, était parvenue à se libérer de la peur, le clan Qadhafi a réussi à instaurer la terreur.
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Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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