Par Diana Burgos-Vigna, maître de conférences en civilisation latino-américaine à l’Université de Cergy-Pontoise (LE MONDE, 08/04/11):
Le 10 avril, les Péruviens éliront leur nouveau président… à moins qu’ils n’optent pour une présidente ? La jeune femme de 35 ans, candidate pour la première fois aux élections présidentielles, porte en effet un nom prédestiné pour accéder au pouvoir: Keiko Fujimori n’est autre que la fille de l’ancien président Alberto Fujimori qui, après avoir occupé le pouvoir pendant toute la décennie 1990, a été condamné par la justice péruvienne en avril 2009 à vingt-cinq ans de prison pour atteintes aux droits de l’homme. Bien que la jeune candidate ait cherché à se démarquer du père en construisant sa campagne politique sur le thème du changement, l’héritage que lui laisse l’ancien dictateur est lourd à porter: malversations en tous genres, corruption, pratiques clientélistes à grande échelle, détournements de fonds, responsabilité dans des assassinats collectifs, enlèvements…
Et pourtant, Keiko jouit d’une popularité certaine: les sondages d’opinion la créditent d’environ 20 % des voix au premier tour et n’écartent pas la possibilité de sa présence au second.
Pareille situation n’est cependant pas inédite au Pérou et l’actuel président en est la preuve : Alan Garcia a en effet été élu en 2006 malgré le bilan désastreux d’un premier mandat dans la seconde moitié des années 1980 : à une crise économique qui s’était accompagnée de taux d’inflation records, s’étaient ajoutées la montée de la violence du Sentier lumineux et des accusations de malversations qui le menèrent à un exil doré de plusieurs années dans les beaux quartiers parisiens.
Si Alan Garcia ne se représente pas aux élections présidentielles de 2011 – car la Constitution ne l’y autorise pas –, d’autres personnalités issus d’un passé politique récent viennent compléter une galerie d’”anciens”, peu stimulante pour beaucoup d’électeurs péruviens: Ollanta Humala, arrivé deuxième aux dernières élections après avoir mené une campagne polémique aux accents nationalistes; Luis Castaneda, ancien maire de Lima; Pedro Pablo Kuczinski, ancien ministre des finances; et Alejandro Toledo, ancien président de 2001 à 2006, dont la popularité chuta jusqu’à 8 % pendant une large partie de son mandat, et à la présidence marquée par un fort mécontentement social ainsi que par une série de scandales de corruption. Ce dernier candidat est cependant, avec Keiko Fujimori et Ollanta Humala, l’un des favoris des sondages.
DÉSARROI
Les Péruviens auraient-ils donc la mémoire courte ? Un penchant pour l’autoritarisme et la corruption? Ou seraient-ils destinés à un populisme qui semble être le dénominateur commun de tous ces candidats? A en croire Latinobarometro, institut de sondage qui réalise chaque année une consultation dans plusieurs pays latino-américains afin d’en prendre le pouls politique, les Péruviens ne seraient pas moins démocrates que leurs voisins. Bien au contraire, ils se situeraient dans la moyenne haute de la région latino-américaine, l’appui à la démocratie avoisinant les 61%. Cependant, le sondage met également en évidence la grande déception des citoyens péruviens face aux failles de leur démocratie. S’agissant du fonctionnement des institutions démocratiques, les Péruviens figurent en effet parmi les plus insatisfaits d’Amérique latine. Démocrates donc, mais désabusés.
La cause de ce désarroi, c’est plutôt dans le décalage entre la situation économique d’ensemble et le quotidien des Péruviens qu’il faut la chercher. Dans un pays qui détient depuis plusieurs années les meilleurs taux de croissance de l’Amérique du Sud (jusqu’à 10% avant la crise), la question de la répartition des richesses est loin d’être résolue. Si la pauvreté a reculé ces dernières années, elle frappe encore plus du tiers de la population et reste toujours élevée dans certaines zones du pays, et notamment dans la cordillère des Andes où elle touche près de 60 % des habitants. Par ailleurs, selon la Banque mondiale, 73% des Péruviens travaillent dans le secteur informel et, en matière d’éducation, le niveau du Pérou est des plus faibles en Amérique latine, avec un taux de scolarisation en primaire inférieur à la moyenne latino-américaine.
Dès lors, l’incompréhension de la population face aux bons résultats économiques est légitime: quand on ne sait pas où vont les richesses, l’attirance exercée par le populisme est forte. Au Pérou, la citoyenneté politique ne s’est pas encore accompagnée, pour la majorité, d’une satisfaction des droits sociaux minimaux. C’est pourquoi Keiko Fujimori séduit : elle est, après tout, la fille de celui qui se déplaçait jusque dans les villages les plus reculés des Andes pour aller à la rencontre du peuple. En conséquence, au-delà des élections d’avril, l’enjeu politique et social est majeur : détourner les Péruviens de l’autoritarisme et du populisme, enfants indignes de la démocratie, en leur montrant que les bienfaits de cette dernière pourront aussi avoir, et rapidement, une traduction sociale concrète.
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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