Par Pierre Guerlain, professeur de civilisation américaine à l’université Paris Ouest Nanterre (LE MONDE, 29/03/11):
Les médias sont quasi-unanimes dans la célébration de la diplomatie française et les anciens va-t-en guerre occupent le devant de la scène médiatique. Bernard Henry Levy a pour un temps pris les fonctions du ministre des affaires étrangères et est devenu la voix de la France, ce même pseudo-philosophe qui confond un canular du Canard Enchainé et un philosophe dont les journaux intellectuels américains ont noté l’indigence intellectuelle de ses livres où il confond les noms des acteurs de l’histoire. Lui et André Glucksmann, qui applaudissait George W. Bush comme Nicolas Sarkozy, sont les porte-parole de l’honneur retrouvé de la France. Soudain la France grâce à son activisme à l’ONU est redevenue la patrie des droits humains. Pourtant, dans ce beau tableau idyllique où honneur et militarisme font bon ménage il y a quelques questions gênantes.
La Libye est certes un Etat tyrannique, mais il n’y a pas si longtemps on déroulait le tapis rouge au tyran-roi du pétrole. Sa population s’est, pour partie, soulevée contre son régime qui s’apprêtait effectivement à commettre des atrocités. L’ONU veut l’en empêcher uniquement par une zone d’exclusion aérienne qui risque de ne pas être efficace. Pendant ce temps, au Yémen, les populations civiles sont massacrées par un régime allié des Etats-Unis et il n’est pas question que l’ONU arrête les massacres. L’Arabie Saoudite intervient pour briser ce même printemps arabe au Bahreïn mais fait cause commune avec les Franco-Anglo-Américains en Libye. La Côte d’Ivoire s’enfonce dans la guerre civile que la “communauté internationale” pourrait facilement arrêter.
Il est clair que les interventions sont sélectives et ne sont pas dictées par un seul souci humanitaire. La “communauté internationale” qui souhaite intervenir ne comprend pas la Chine, le Brésil, l’Allemagne ou la Russie, soit quand même un nombre important de pays peuplés. Les thuriféraires de l’intervention ont, pour un grand nombre d’entre eux, applaudi aux massacres en Irak ou à Gaza et ils sont assez réalistes pour ne pas recommander une intervention contre un Etat militairement fort, comme la Russie ou la Chine. Les motivations purement humanitaires n’existent pas. Les indignations sont sélectives.
Aujourd’hui le droit n’est pas bafoué, comme pour le Kosovo ou l’Irak, mais ce qu’autorise l’ONU ne permet au mieux que de bloquer la situation, pas de faire la guerre à la Libye. L’histoire des interventions humanitaires n’est pas de bon augure. Que ce soit les Philippines en 1898 ou le Kosovo en 1999, les motivations et les conséquences des interventions se sont révélées complexes. Si un massacre est effectivement évité, le bilan sera positif mais l’histoire et les positions politiques des acteurs poussant à l’intervention font craindre le pire, soit une inefficacité sur le terrain, si le mandat de l’ONU est scrupuleusement respecté ; soit un bain de sang causé par la guerre et non par le tyran tout seul.
La première guerre d’Irak en 1990-1991, dite guerre du Golfe, avait également été débattue aux Nations unies. On connaît les massacres et assassinats qui en ont résulté, alors que les voies diplomatiques produisaient des effets. Aujourd’hui, la ferveur guerrière arc-boutée sur le droit international est suspecte. Elle est le fruit de l’activisme de va-t-en guerre qui ont soutenu des bains de sang dans le passé récent ou se sont tus lorsque les massacres avaient lieu. Le monde n’est pas à l’abri de ce que les Américains appellent “mission creep” (extension incontrôlée d’une mission). On est en droit de ne pas se réjouir ni de se vanter et d’avoir quelques doutes sur les moralités claironnées.
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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