Par Anis Bouayad, consultant en stratégie (LE MONDE, 22/03/11):
Avec l’envoi de plus de 1 000 hommes à Bahreïn et la répression brutale qui s’en est suivie, l’Arabie saoudite vient de signifier que l’épicentre de la révolution arabe s’est déplacé du Maghreb au Machrek, de Tunis à Manama. Nul doute que le soulèvement des Tunisiens et des Egyptiens demeurera, aux yeux de l’histoire, l’événement fondateur de ce que d’aucuns appellent la “renaissance arabe”. Malgré tout, la contestation qui secoue le petit royaume de Bahreïn (à peine 600 000 habitants, hors expatriés) revêt une tout autre importance. Ce petit Etat occupe une place particulièrement importante qu’il doit à sa position géopolitique, à sa composition sociologique et, accessoirement, à sa structure confessionnelle.
Tout comme les Tunisiens, les Bahreïnis ont fait le pari de la connaissance. Le pays a depuis longtemps massivement investi dans l’enseignement et la formation. Et bien avant Al-Jazira, l’influente chaîne du voisin qatari, Bahreïn a exercé une sorte de magistère dans l’édition et la presse arabes, à l’instar du Caire. Que ces deux foyers du savoir constituent, avec les universités tunisiennes, le ferment du “printemps arabe” n’est pas anodin. La revendication en cours est beaucoup plus culturelle et sociologique que religieuse ou confessionnelle.
Moins riche que ses voisins, Bahreïn fait partie intégrante du collier de perles que forment les pays du Golfe. Richissimes, ces pays disposent de fonds souverains bien dotés et massivement engagés un peu partout dans le monde. Non seulement les capitaux issus des pétrodollars sont présents dans certains des plus beaux fleurons de l’industrie, de la finance et du tourisme occidentaux, mais ces capitaux sont tout autant massivement investis dans nombre de pays émergents ou en développement. Et, bien sûr, dans de nombreux pays arabes. La contestation au sein de ce petit pays qu’est Bahreïn a toutes les chances de générer une onde de choc débordant ses frontières pour affecter des contrées lointaines, y compris en Occident.
Cet effet systémique paraît encore plus tangible pour cet autre voisin de Bahreïn, à savoir l’Arabie saoudite. Proche, dans tous les sens du terme, du royaume de Bahreïn, l’Arabie saoudite compte une minorité chiite, concentrée dans l’est du pays. Cette zone recèle justement l’essentiel des réserves de pétrole et est directement limitrophe de Bahreïn. Que ce dernier bascule, sous une forme ou une autre, dans la démocratie, et c’est tout le royaume saoudien qui est ébranlé. Si le séisme, même atténué, se propage en Arabie saoudite, il provoquera des répliques dans de nombreux pays, des plus proches aux plus éloignés.
Effet papillon
Cet effet papillon s’expliquerait par la triple posture du royaume saoudien. Ce pays jouit, d’abord, d’un prestige particulier dans le monde arabo-musulman, puisqu’il abrite les lieux saints de l’Islam, La Mecque et Médine. L’Arabie saoudite a, ensuite, financé de très nombreux projets, y compris culturels et cultuels. Enfin, ce pays est, depuis la seconde guerre mondiale, le meilleur allié et relais des Etats-Unis dans la région.
Que l’Arabie saoudite soit affectée par le retournement en cours à Bahreïn, et c’est tout le monde arabe qui en sera affecté. C’est en cela que le petit royaume de Bahreïn est l’épicentre d’un phénomène qui le dépasse. Sa déstabilisation pourrait faire tache d’huile dans les pétromonarchies voisines, et menacerait l’Arabie saoudite, épine dorsale du monde arabe, sinon musulman.
Le danger est d’autant plus réel que la contestation qui enfle est moins confessionnelle que démocratique. Bien que près de 70 % des Bahreïnis soient chiites, les revendications sont similaires à celles exprimées par les Tunisiens et les Egyptiens, des sunnites, pourtant : plus de liberté, plus d’égalité et plus de justice sociale et économique. Tous ces pays semblent saisis par le même syndrome : la démocratie par l’économie. Se situant au-delà de l’antagonisme classique sunnites-chiites, ce mouvement de contestation déroute les gouvernants et les caciques. Cet embrasement embarrasse les dirigeants en place, parce qu’il leur offre peu de prise pour sa manipulation.
Partie de ce petit pays qu’est Bahreïn, la turbulence risque alors d’éprouver durement nombre de pays, aussi bien arabes qu’occidentaux. Si tel était le cas, la “renaissance arabe” aurait alors accouché d’une révolution.
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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