Par Franck Latty, professeur de droit public à l’université d’Auvergne (LE MONDE, 30/03/11):
Les crises concomitantes au Japon et en Libye n’ont de prime abord rien en commun. La violence d’un pouvoir autoritaire menacé par le souffle démocratique intervient dans un registre autre que le déchaînement des éléments et le risque consécutif d’une catastrophe nucléaire. Reste que le sort des rebelles massacrés par les troupes de Kadhafi n’est guère plus enviable que celui des victimes de la chaîne des cataclysmes japonais. Au niveau des conséquences humanitaires, les deux situations sont comparables : elles soulèvent la question de la protection des populations (des forces naturelles, des accidents nucléaires ou d’un dictateur sanguinaire) ; chacune d’entre elles interpelle sur l’exercice de sa souveraineté par l’Etat et sur le rôle que doit jouer la communauté internationale face à de tels événements.
En ce sens, les deux crises s’inscrivent dans le contexte de l’émergence de la responsabilité de protéger en tant que nouvelle norme de droit international, censée dépasser l’impossible articulation entre la sacro-sainte souveraineté étatique et l’indispensable intervention humanitaire quand des populations sont en danger. Si l’ingérence prônée par Bernard Kouchner et Mario Bettati dans les années 1980 n’a jamais accédé au rang de norme juridique, la résolution 1973 sur la Libye adoptée jeudi dernier marque le passage de la responsabilité de protéger du rang de simple doctrine d’action au statut de règle de droit international, tandis que la crise humanitaire japonaise jette une lumière crue sur ses virtualités.
Dans son rapport de 2001 à l’origine du concept, la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des Etats (Ciise) a rappelé que la souveraineté ne donne pas seulement des droits : elle confère également aux Etats des devoirs, parmi lesquels figure la responsabilité de protéger leur population. Mais pour la Ciise, dès lors qu’“ils ne sont pas disposés à le faire ou n’en sont pas capables, cette responsabilité doit être assumée par l’ensemble de la communauté des Etats”.
L’ONU a par la suite repris à son compte ce principe, ses Etats membres s’étant déclarés “prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité” en cas de défaillance d’un Etat à protéger sa population. La crise libyenne a permis de mettre le concept à l’épreuve. Dès sa résolution 1970 soumettant le régime de Kadhafi à une première batterie de sanctions, le Conseil de sécurité a rappelé que “les autorités libyennes ont la responsabilité de protéger le peuple libyen”. La résolution 1973 vient mettre en œuvre la responsabilité subsidiaire de protéger qui incombe à la communauté internationale une fois établie la défaillance de l’Etat vis-à-vis de sa population.
C’est explicitement et exclusivement aux fins de protéger les Libyens que le Conseil autorise l’utilisation de la force et établit une zone d’exclusion aérienne. Par ce texte historique, le Conseil de sécurité contribue à donner à la “responsabilité” de la communauté internationale le caractère d’une obligation coutumière d’agir. L’action du Conseil de sécurité n’est plus seulement une question d’opportunité ou de morale. Le concept de responsabilité de protéger fait naître au profit des populations victimes des obligations juridiques dont les débiteurs solidaires sont les Etats et les organisations internationales. A l’avenir, ceux qui bloqueront l’adoption de mesures coercitives à l’égard d’un Etat inapte à protéger sa population devront eux-mêmes rendre des comptes pour leur “non-assistance à peuple en danger”.
L’EXTENSION DU CHAMP DE LA RESPONSABILITÉ DE PROTÉGER
Cette responsabilité doit-elle pour autant se limiter, comme l’envisage l’ONU, à la protection des populations “du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité” ? Que ce soit dans la prévention des risques (effets du tsunami, accident nucléaire) ou dans la réaction aux événements cataclysmiques (désorganisation des secours, pénuries, voire désinformation des civils), on peut douter que la population japonaise ait été – et soit encore – convenablement protégée par son gouvernement, qui n’admet l’aide internationale qu’au compte-gouttes. Faut-il s’y résigner ? La Ciise avait considéré que la responsabilité de protéger devait également s’appliquer aux “catastrophes naturelles ou écologiques extraordinaires”. Après le passage dévastateur du cyclone Nargis en 2008, le ministre Bernard Kouchner s’en était en vain prévalu pour contraindre la Birmanie à ouvrir ses frontières à l’aide internationale.
Appliquer la responsabilité de protéger au cas japonais donnerait à l’Etat l’obligation d’accepter, sans tergiversations, l’aide extérieure que tous les membres de la communauté internationale devraient eux-mêmes fournir à hauteur de leurs moyens. Le recours au Conseil de sécurité permettrait même de passer outre un refus étatique. La situation actuelle commande que l’extension du champ de la responsabilité de protéger figure parmi les leçons à tirer des catastrophes japonaises.
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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