jueves, marzo 31, 2011

Printemps arabe : pas de démocratie sans les femmes

Par Béatrice Toulon et Isabelle Germain, Les Nouvelles News (LE MONDE, 30/03/11):

Une révolution dans la révolution gronde au cœur du printemps arabe, moins visible, moins bruyante, mais bien réelle et plus historique encore que la formidable leçon donnée par “la rue arabe” en Tunisie, Egypte, Yémen, Bahreïn, Libye, Syrie et autres pays musulmans du pourtour méditerranéen. Cette révolution c’est celle des femmes. Des femmes arabes et musulmanes. Ces femmes ne réclament pas de droits spécifiques, elles exigent une citoyenneté à part entière, à part égale, dans tous les domaines, politiques, économiques, juridiques, familiaux.

C’est nouveau, c’est unique, formidablement prometteur et au fond prévisible depuis qu’elles ont accès aux études, au contrôle des naissances et au monde grâce aux réseaux Internet. Mais ces femmes ont besoin du soutien des démocrates du monde entier, des médias en particulier, car elles ne bravent pas qu’un ordre politique autoritaire, elles défient l’ordre masculin, dominant, inégalitaire, dont la bonne conscience était jusqu’à ce jour légitimé par les traditions et la religion. Un sacré renversement, sans doute, mais capital comme l’a affirmé le 17 mars à Alger le professeur de sciences politiques Nourredine Saâdi : “C’est autour de la femme que va se jouer la démocratie.” C’est dire l’importance de l’enjeu.

Fait rare et signe des temps, les femmes ont d’abord manifesté avec les hommes, occupé la place Tahrir au Caire, arpenté les rues tunisiennes, bahreinis, yéménites, gazaouis, soudanaises, mêlées aux hommes ou séparées selon le degré d’influence de la Charia. Tant qu’il s’agissait de réclamer la démocratie en général, elles étaient les bienvenues. Mais quand, une fois les dictatures tombées, elles ont exigé la démocratie pour elles, le machisme a vite repris ses droits.

En Tunisie, les manifestations de femmes se heurtent régulièrement à des barrages masculins qui leur crient: "les femmes à la maison!", "les femmes à la cuisine!". Au Caire, le 8 mars dernier, les femmes étaient descendues en masse place Tahrir pour manifester contre le sexisme des autorités de transition : aucune femme dans le comité constitutionnel chargé de préparer la nouvelle Constitution ; aucune femme dans le comité civil de consultation appelé “conseil des hommes sages” ; une réforme constitutionnelle (approuvée le 20 mars par référendum) qui ne garantit aucun droit aux femmes et n’envisage qu’un candidat de sexe masculin à l’élection présidentielle. Un premier succès des Frères musulmans.

Ce jour-là, les manifestantes se sont heurtées à des hommes, venus en masse et extraordinairement hostiles. Que leur reprochaient-ils ? De mettre en péril la révolution en réclamant des droits trop tôt. Trop tôt ? L’Histoire des révolutions américaine, française, russe, algérienne, cubaine a montré que “later is never”, comme dit le proverbe anglais. Priyanka Motaparthy, de Human Rights Watch, présente ce jour-là place Tahrir en témoigne : “C’était une façon incroyablement violente d’essayer de chasser les femmes de l’espace public.” Mais ce jour-là il n’y avait ni soldats pour les protéger ni journalistes pour témoigner, tous occupés à suivre les tractations politiques qui faisaient l’actualité la veille et la feraient le lendemain.

Les machos de la rue arabe ne sont pas forcément à blâmer. Leur regard sur les femmes répète un schéma appris de leurs pères, assez universellement partagé et bien décrit par l’anthropologue Françoise Héritier, selon lequel les hommes représentent le centre, les femmes la périphérie. Les pleins droits pour les hommes, représentants universels de l’humanité, suffisent alors à l’exigence démocratique. En négligeant, ou plutôt en ne voyant pas la lutte des femmes pourtant au cœur du combat pour la vraie démocratie, les médias, nos médias, ne sont pas si loin d’une telle représentation du monde. Et pourtant, les femmes arabo-musulmanes bougent. Là où personne ne peut les faire taire, dans le cyber-espace. Encore faut-il les chercher pour les trouver.

On tombe alors sur un impressionnant réseau transnational de sites, de blogs, tags et autres pages sur les réseaux sociaux qui en disent long sur la soif de liberté, l’exigence d’égalité et la crainte que pour les femmes le temps reste à l’hiver. Une vidéo de jeunes Bahreinis, filles mais aussi garçons, réclamant des “equal rights” a buzzé sur la toile, tout comme le compte twitter SaoudiWomenRevolution ou un post saoudien qui dénonce le “mahran” la tutelle masculine sur les femmes saoudiennes. On ne compte plus les pages Facebook des Femmes d’Egypte, de Tunisie, du Yemen, les blogs (celui de Mona Kareem de Bahreïn), les échanges de femmes juristes sur la résolution 1326 du conseil de Sécurité de l’ONU qui oblige les Etats à favoriser toutes les actions visant la parité. Elles font circuler les chiffres : 25 % de femmes dans le parlement irakien ; 45 % dans celui de l’Afrique du Sud qui en abolissant le racisme a estimé cohérent d’abolir le sexisme.

CHANGEMENT DE PARADIGME

Il y a aussi les héroïnes dont les photos circulent comme celle de Kowatul Karman, leader de l’opposition yéménite, ou d’autres agitatrices, comme les égyptiennes Nawal El Saadawi et Fatma Emam. Qui les connaît en France ? Signe de l’universalité de cette révolution des femmes, un montage vidéo des “plus grandes femmes révoltées” circule, qui mêle les images de Jeanne d’Arc, Golda Meir, la suffragette américaines du XIXe siècle Susan B. Anthony et… Kowatul Karman.

Ces femmes ne continueront pas longtemps à se battre si leurs cris ne trouvent aucun écho sur lequel nourrir leur combat. Beaucoup d’hommes de ces pays les comprennent et aspirent aussi à une société plus égalitaire. Mais eux non plus n’auront bientôt plus le courage de s’opposer à cette arrogante domination masculine s’ils ne peuvent lui faire valoir le regard du monde. Le risque deviendrait trop grand pour eux d’être à leur tour exclus du cercle dominant.

Les femmes activistes doivent changer leur dynamique et assimiler leurs luttes aux luttes politiques”, martèle Mozn Hassan, director of the Cairo-based group Nazra for Feminist Studie. Les démocrates du monde entier doivent aussi changer de regard, laisser de côté tout relativisme culturel et comprendre que l’égalité des sexes est le passage obligé de tout projet social véritablement démocratique. L’effort mental requis par un tel changement de paradigme est énorme. Mais cet effort est indispensable car de même que la démocratie n’est en rien naturelle et semble pourtant le régime préféré des humains, de même l’égalité des sexes est la première des promesses d’égalité entre humains.

C’est maintenant que ces femmes doivent être soutenues, pas demain, quand elles auront renoncé sous le poids de leurs traditions et de notre indifférence.

Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona

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