Par Nicolas Baverez, économiste et historien (LE MONDE, 21/03/11):
Après les négociations du G20 et la dévastation du Japon, la crise européenne s’emballe.
Sur le plan économique, la divergence s’exacerbe entre le miracle allemand (croissance de 3 %, chômage de 7 %, déficit public de 2,5 % du produit intérieur brut, excédent commercial de 155 milliards d’euros) et la récession persistante des pays périphériques (de – 4 % en Grèce à – 0,1 % en Espagne, où le taux de chômage dépasse 20 %).
Sur le plan financier, la Grèce ne peut échapper à une restructuration de sa dette, tandis que le nouveau gouvernement irlandais entend renégocier les conditions du plan de secours et que le Portugal persiste à différer le recours inéluctable à l’aide, alors qu’il emprunte à 7,7 % avec une dette de 85 % du PIB et une croissance potentielle de 1 %.
L’Europe aura donc perdu toutes les batailles depuis le déclenchement de la crise.
Bataille de la reprise dont elle fut la variable d’ajustement en raison de la surévaluation de l’euro.
Bataille commerciale avec le blocage de la dynamique du grand marché, son ouverture sans réciprocité et son pilotage par une politique de la concurrence qui joue contre la production et l’innovation.
Bataille financière avec les crises liées de la dette souveraine et d’un système bancaire non restructuré et régulé par l’absurde.
Bataille politique avec la montée des populismes et de l’hostilité à l’Europe chez ses citoyens.
Bataille diplomatique avec l’inexistence tragique de l’Union face aux révolutions du monde arabe.
Le constat de faillite, partagé par les partenaires de l’Union, les marchés et les citoyens, est clair : dans un monde incertain fait de risques et de chocs, l’Europe agit toujours trop peu et trop tard.
La crise se prolongera jusqu’à entraîner la rupture de l’euro et de l’Europe si un accord n’intervient pas sur une solution globale qui repose sur trois piliers : la transformation de l’euro en zone monétaire pérenne, ce qui implique désendettement, compétitivité économique et solidarité financière ; la réassurance de l’Allemagne, qui est la condition de son efficacité ; la création d’un gouvernement économique, qui constitue le socle de sa légitimité.
Une course de vitesse est engagée entre la prise de conscience des dirigeants européens et l’accélération des crises : choc pétrolier, tsunami japonais, tensions sur les dettes souveraines et secteur financier.
Sur le plan économique se dessine un programme cohérent, associant une supervision budgétaire étroite, un effort de compétitivité fondé sur l’encadrement des salaires et la rationalisation des Etats-providence, un fonds de soutien porté de 440 à 500 milliards d’euros de manière permanente à compter de 2013, une relance du grand marché sous la forme d’un début d’harmonisation fiscale (assiette puis taux de l’impôt sur les sociétés) et sociale.
RENOUVEAU DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND
Au plan politique, cette stratégie s’adosse au renouveau du couple franco-allemand. Il trouve son origine dans le revirement des dirigeants allemands, qui se sont persuadés de l’impossibilité pour l’Allemagne de préserver son développement et son leadership européen en cas d’implosion de l’euro ou de déclin du continent.
La stabilisation de l’euro et la relance de l’Europe ne sont pas pour autant acquises. Le plan comporte en effet deux angles morts : d’abord, l’absence de procédure de défaut organisé – à laquelle certains pays, comme la Grèce, ne pourront échapper – et de restructuration des banques – dont les actifs toxiques devraient pouvoir être rachetés par le fonds ; ensuite, la Banque centrale européenne pourrait ruiner toute reprise avec la hausse des taux précoce, qu’elle a annoncée pour avril 2011, plus aberrante que celle de juillet 2008.
Mais les plus grandes difficultés sont politiques.
En Allemagne, le fossé se creuse entre la chancelière, Angela Merkel, et son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, d’une part, le parti libéral, vital pour la coalition, et surtout, l’opinion allemande d’autre part.
Du côté des nations en situation de défaut potentiel, les mouvements sociaux ou les électeurs remettent en question les plans d’aide. Enfin, la majorité des membres de l’Union sont hostiles à la constitution d’un directoire économique et monétaire franco-allemand.
Ledit couple présente d’ailleurs nombre de fragilités du fait des faiblesses de la France, qui a des discours fermes mais une stratégie incohérente. Avec une croissance limitée à 1,5 % et un déficit commercial de 51 milliards d’euros, une impasse structurelle de 6 % du PIB et une dette publique de 88 % du PIB, une dépense sociale qui culmine à 35 % du PIB et un taux de chômage de 14,5 %, un secteur privé réduit à 43,4 % de la dépense nationale, la France présente au plan national les caractéristiques inverses des objectifs qu’elle prétend fixer à ses partenaires, de concert avec l’Allemagne, pour le sauvetage de la zone euro.
La rencontre entre l’Europe politique à la française et l’Europe économique et monétaire à l’allemande ne sera durable que si le redressement de notre pays vient compléter la renaissance économique de l’Allemagne réunifiée.
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
No hay comentarios.:
Publicar un comentario