Par Jean-Claude Buhrer, journaliste et coauteur, avec Claude B. Levenson, de : l’ONU contre les droits de l’homme ? Mille et une nuits (LIBERATION, 17/04/09):
En Egypte, un des donneurs de leçons patentés au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le syndicat des médecins, s’oppose au don d’organes entre personnes de religions ou de nationalités différentes au prétexte d’un hypothétique trafic d’organes. Le quotidien panarabe Al-Hayat qui s’en est indigné estime que cette prise de position «vise en réalité les Egyptiens coptes et musulmans et que son langage confine au racisme». En Arabie Saoudite, qui siège aussi parmi les 47 membres de l’organe onusien des droits de l’homme, le fonctionnaire chargé des châtiments corporels à la prison des femmes à Riyad refuse d’être appelé «bourreau», se voulant plus prosaïquement «exécuteur des peines religieuses», puisqu’il ne fait «qu’appliquer la volonté d’Allah» conformément à la stricte observance de la charia islamique dans le royaume wahhabite.
Au Venezuela, on ne plaisante guère davantage avec l’ordre établi par le président Chávez : les émissaires de l’ONG Human Rights Watch l’ont appris à leurs dépens quand en septembre, le chef d’une escouade d’agents de sécurité venus les chercher à l’hôtel pour les expulser manu militari, s’est présenté à eux comme «fonctionnaire des droits de l’homme»…
Dans ce même ordre d’idées, l’Organisation de la conférence islamique (OCI), qui dispose d’un tiers des sièges au Conseil des droits de l’homme, n’a-t-elle pas fait adopter une modification du mandat du rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, l’enjoignant désormais de faire la chasse aux individus qui abuseraient de ce droit ?
Autant d’exemples aux réminiscences orwelliennes. Dans la novlangue, le langage perverti imaginé par l’écrivain britannique George Orwell dans son roman 1984, Big Brother proclamait : «La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage, et l’ignorance, c’est la force.» Manipuler les mots est le propre de toutes les propagandes ou de toutes les dictatures. Ainsi, la junte militaire birmane a-t-elle remplacé le nom du pays par «Myanmar», comme si cela suffisait à changer la réalité. Les Khmers rouges avaient fait de même avec le Kampuchea démocratique, redevenu le Cambodge à la chute de leur régime meurtrier. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’on en viendrait pour peu à s’interroger sur la transformation en 2006 de la Commission en Conseil des droits de l’homme aux Nations unies…
Alors que le nouvel organe a été investi par une majorité d’Etats eux-mêmes en délicatesse avec les principes qu’ils sont censés promouvoir et défendre, à l’usage le remède s’avère pire que le mal. «C’est comme si l’on faisait appel à des criminels notoires pour faire la police dans le monde», avait déploré Mohammed Zitout, de l’ONG panarabe Al-Karama, lors de la constitution du Conseil. Autre ombre au tableau, près de 80 % des exécutions capitales officiellement enregistrées en 2008 à travers le monde l’ont été dans des pays siégeant au Conseil, la Chine largement en tête de ce sinistre décompte. Le Conseil n’en a cure, pas plus qu’il ne se préoccupe des violations commises en Russie, au Pakistan, à Cuba, en Algérie, au Zimbabwe ou dans d’autres pays liberticides, sans parler du sort des Tibétains ou des Papous d’Indonésie.
Au nom du relativisme culturel à la mode, le révisionnisme est à l’œuvre avec des droits de l’homme à géométrie variable. Emmenés par la Chine et l’OCI, nombre de pays s’accrochent à la sacro-sainte souveraineté des Etats pour contester le concept même d’universalité. Or, ce sont ceux-là précisément qui violent les droits de l’homme, alors que leurs victimes, elles, s’en réclament. Le clivage se situe entre démocraties et dictatures, quelles que soient les latitudes : de fait, on assiste au démantèlement subreptice du système des droits de l’homme patiemment mis en place depuis l’adoption en 1948 de la déclaration universelle. Déjà les mandats de rapporteurs ont été supprimés pour le Bélarus, Cuba, la république démocratique du Congo, le Liberia et le Soudan. Il est maintenant question d’éliminer les dernières procédures spéciales par pays et de renoncer à mentionner des noms précis. A une exception près, Israël, redevenu le bouc émissaire par excellence. Cinq sessions spéciales sur neuf lui ont été consacrées et, en trois ans, il a fait l’objet de 26 résolutions sur 33 concernant les pays. Pour les membres de l’OCI qui en ont fait leur principal cheval de bataille avec la «diffamation des religions», cette fixation sur le Proche-Orient fait écran à tout vrai débat sur le racisme et les moyens de s’en débarrasser.
C’est dire que les dérives verbales et la confusion qui s’ensuit à la veille de l’ouverture de la conférence, dite de suivi contre le racisme, laissent entrevoir encore de belles heures à un antiracisme dévoyé. Le spectre de Durban semble s’être invité au palais des Nations à Genève, comme pour remettre en mémoire le sévère rappel d’Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice du Canada, qui constatait : «L’Holocauste n’a pas commencé dans les chambres à gaz, mais avec des mots», renvoyant en écho ce propos de Karl Jaspers qui prévenait naguère : «Quand le désordre atteint le langage, tout tourne au désastre.»
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
En Egypte, un des donneurs de leçons patentés au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le syndicat des médecins, s’oppose au don d’organes entre personnes de religions ou de nationalités différentes au prétexte d’un hypothétique trafic d’organes. Le quotidien panarabe Al-Hayat qui s’en est indigné estime que cette prise de position «vise en réalité les Egyptiens coptes et musulmans et que son langage confine au racisme». En Arabie Saoudite, qui siège aussi parmi les 47 membres de l’organe onusien des droits de l’homme, le fonctionnaire chargé des châtiments corporels à la prison des femmes à Riyad refuse d’être appelé «bourreau», se voulant plus prosaïquement «exécuteur des peines religieuses», puisqu’il ne fait «qu’appliquer la volonté d’Allah» conformément à la stricte observance de la charia islamique dans le royaume wahhabite.
Au Venezuela, on ne plaisante guère davantage avec l’ordre établi par le président Chávez : les émissaires de l’ONG Human Rights Watch l’ont appris à leurs dépens quand en septembre, le chef d’une escouade d’agents de sécurité venus les chercher à l’hôtel pour les expulser manu militari, s’est présenté à eux comme «fonctionnaire des droits de l’homme»…
Dans ce même ordre d’idées, l’Organisation de la conférence islamique (OCI), qui dispose d’un tiers des sièges au Conseil des droits de l’homme, n’a-t-elle pas fait adopter une modification du mandat du rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, l’enjoignant désormais de faire la chasse aux individus qui abuseraient de ce droit ?
Autant d’exemples aux réminiscences orwelliennes. Dans la novlangue, le langage perverti imaginé par l’écrivain britannique George Orwell dans son roman 1984, Big Brother proclamait : «La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage, et l’ignorance, c’est la force.» Manipuler les mots est le propre de toutes les propagandes ou de toutes les dictatures. Ainsi, la junte militaire birmane a-t-elle remplacé le nom du pays par «Myanmar», comme si cela suffisait à changer la réalité. Les Khmers rouges avaient fait de même avec le Kampuchea démocratique, redevenu le Cambodge à la chute de leur régime meurtrier. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’on en viendrait pour peu à s’interroger sur la transformation en 2006 de la Commission en Conseil des droits de l’homme aux Nations unies…
Alors que le nouvel organe a été investi par une majorité d’Etats eux-mêmes en délicatesse avec les principes qu’ils sont censés promouvoir et défendre, à l’usage le remède s’avère pire que le mal. «C’est comme si l’on faisait appel à des criminels notoires pour faire la police dans le monde», avait déploré Mohammed Zitout, de l’ONG panarabe Al-Karama, lors de la constitution du Conseil. Autre ombre au tableau, près de 80 % des exécutions capitales officiellement enregistrées en 2008 à travers le monde l’ont été dans des pays siégeant au Conseil, la Chine largement en tête de ce sinistre décompte. Le Conseil n’en a cure, pas plus qu’il ne se préoccupe des violations commises en Russie, au Pakistan, à Cuba, en Algérie, au Zimbabwe ou dans d’autres pays liberticides, sans parler du sort des Tibétains ou des Papous d’Indonésie.
Au nom du relativisme culturel à la mode, le révisionnisme est à l’œuvre avec des droits de l’homme à géométrie variable. Emmenés par la Chine et l’OCI, nombre de pays s’accrochent à la sacro-sainte souveraineté des Etats pour contester le concept même d’universalité. Or, ce sont ceux-là précisément qui violent les droits de l’homme, alors que leurs victimes, elles, s’en réclament. Le clivage se situe entre démocraties et dictatures, quelles que soient les latitudes : de fait, on assiste au démantèlement subreptice du système des droits de l’homme patiemment mis en place depuis l’adoption en 1948 de la déclaration universelle. Déjà les mandats de rapporteurs ont été supprimés pour le Bélarus, Cuba, la république démocratique du Congo, le Liberia et le Soudan. Il est maintenant question d’éliminer les dernières procédures spéciales par pays et de renoncer à mentionner des noms précis. A une exception près, Israël, redevenu le bouc émissaire par excellence. Cinq sessions spéciales sur neuf lui ont été consacrées et, en trois ans, il a fait l’objet de 26 résolutions sur 33 concernant les pays. Pour les membres de l’OCI qui en ont fait leur principal cheval de bataille avec la «diffamation des religions», cette fixation sur le Proche-Orient fait écran à tout vrai débat sur le racisme et les moyens de s’en débarrasser.
C’est dire que les dérives verbales et la confusion qui s’ensuit à la veille de l’ouverture de la conférence, dite de suivi contre le racisme, laissent entrevoir encore de belles heures à un antiracisme dévoyé. Le spectre de Durban semble s’être invité au palais des Nations à Genève, comme pour remettre en mémoire le sévère rappel d’Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice du Canada, qui constatait : «L’Holocauste n’a pas commencé dans les chambres à gaz, mais avec des mots», renvoyant en écho ce propos de Karl Jaspers qui prévenait naguère : «Quand le désordre atteint le langage, tout tourne au désastre.»
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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