Par Gérard Montassier, président de la Fondation pour la civilisation européenne (LE MONDE, 06/04/10):
Les banques au bord de la faillite, les Etats au bord de la banqueroute, les gouvernements au bord de la débâcle : tout le monde a vu cet effrayant spectacle. Personne ne maîtrise rien, et surtout pas les gouvernements, dont c’est pourtant le rôle. Leurs solutions sont dérisoires : elles consistent à distribuer l’argent qu’ils n’ont pas, pour écarter, coûte que coûte, les pires effets d’une crise qu’ils savaient pourtant inévitable. Leurs réunions sont des fiascos : on y rédige des communiqués qui ne débouchent sur rien. Et quand ils se retrouvent à un sommet européen, ils se disputent et sont incapables d’accoucher d’une politique commune. Pourquoi ce gâchis ? Parce que les gouvernements savent que le gouffre financier qu’ils ont creusé est porteur d’une inévitable crise sociale. On la voit venir : une explosion, une révolte, violente, instinctive, d’hommes et de femmes qui ne voient pas d’où vient leur malheur et qui n’ont plus aucun projet d’avenir. Ils auront la tentation de tout casser : l’outil de travail qui ne les fait plus travailler, les symboles d’un Etat inutile et coûteux, les patrons, les politiciens… La démocratie ne s’en portera pas mieux.
UNE CRISE QUI EN CACHE DEUX AUTRES
La crise économique qui crève les yeux a caché la crise politique et la crise sociale. Ces deux-là ont la même cause : l’angoisse. Elle est partout, chez les gouvernants, qui sont submergés, chez les patrons, qui sont désarmés, chez les citoyens, qui sont déprimés. Parce que tous se savent impuissants. A la seule exception des Etats, des banques et des groupes industriels qui ont la taille mondiale. Il est inévitable que les menaces qui pèsent sur tous et sur chacun affectent durement nos sociétés quand ni les Etats ni l’Union ne sont en mesure d’anticiper et d’écarter le danger. On voit partout dans nos sociétés le signe d’un désespoir plus ou moins contenu : on vit à crédit, plutôt que de bâtir ou d’investir, car demain n’est pas sûr ; on veut oublier la politique, inutile, incertaine, louche, et on ne vote plus aux européennes, aux régionales… On aspire finalement à se réfugier dans la sécurité d’un petit monde bien clos, dans l’indifférence à la communauté. Certains vont même jusqu’à suggérer de sortir de l’euro, sinon même de l’Europe, ce qui revient à se jeter à l’eau pour éviter la pluie…
LA RÉPONSE ? UNE EUROPE EFFICACE ET DÉMOCRATIQUE
Alors que faire ? La solution est d’être lucide et volontaire, en se gardant bien de faire croire que le paradis c’est hier ou demain. Lucidité ? Voir dans quel monde nous vivons. Il est à la fois global, pour l’économie et la finance, fracturé en quelques grands ensembles, seuls détenteurs de la puissance, et disloqué en une foule d’Etats qui cherchent à survivre. Ensuite la lucidité nous invite à voir qui nous sommes et ce que nous voulons. Nous voulons décider de notre destin, et vivre en paix, chez nous et dans le monde, par des voies démocratiques, seules garantes de nos libertés. Certains pensent et disent que l’Etat-nation est indispensable à l’exercice de cette démocratie. C’était vrai, ce ne l’est plus. Il ne nous offre plus qu’une caricature de démocratie. Décider de notre destin ? Allez dire cela à ceux dont les usines ferment, dont les rémunérations stagnent, dont les enfants sont mal formés et chômeurs. A ceux que l’on n’a pas consultés pour savoir s’ils voulaient mourir pour Bagdad ou pour Kaboul. Organiser la paix ? Nous avons eu le plus grand mal à la rétablir dans les Balkans et dans le Caucase, sans y parvenir seuls. L’Etat-nation, en Europe, est aujourd’hui, lui aussi, impuissant. Définitivement. Aucun d’eux n’a la taille nécessaire en matière de finance, de capacité d’invention technologique, de population, de forces armées, de poids international. Seule l’Union européenne serait au niveau des géants de l’époque, mais, dans l’état actuel, elle en est loin. Elle reste faible parce que dotée d’un mode de gouvernement surréaliste, mi-élu, mi-nommé, sans aucun mandat clair ni véritable capacité d’action.
Alors, de cette Europe-là les peuples se détournent. Ils en veulent une autre. La leur. Réduits à l’impuissance et à une démocratie malade : voilà notre situation. Aujourd’hui, la démocratie est à réinventer, mais dans un grand ensemble, celui de l’Europe. Les peuples veulent décider de la politique à appliquer, désigner ceux qui l’appliqueront et les juger au terme de leur mandat. C’est la seule voie possible pour réconcilier les peuples avec l’Europe et s’acquérir leur soutien. Pour mener quelle politique ? Que la démocratie européenne dispose des pouvoirs nécessaires pour concevoir et exécuter les politiques qui concernent ce qui est commun à tous les européens, ce qui bénéficie ou nuit à tous, et qu’elle se garde d’intervenir dans leurs affaires locales ! Politique étrangère et de défense, politique économique et financière, minima sociaux, politique de l’immigration, transports intraeuropéens, politique de l’énergie et de la recherche, quelques grandes institutions pour l’éducation et la culture : voilà le domaine d’exercice de la démocratie européenne. Il faut alors dégager un budget alimenté par une fiscalité européenne en déduction des impôts nationaux. L’Europe – avec les économies qu’elle rend possibles, grâce à la mise en commun des moyens et à la simplification administrative – aurait la capacité d’organiser une défense crédible, des services publics qui fonctionnent, une recherche de haut niveau, une culture qui crée et donne la vie à notre civilisation. Cette fois, c’est affaire de volonté, mais une affaire nullement insurmontable. Seule une démocratie européenne nous rendra la capacité d’agir efficacement : démocratie et efficacité restent liées, pour le meilleur comme pour le pire.
Dans ce contexte, l’Etat-nation retrouve sa mission fondamentale : veiller au bien-être de la communauté nationale, exprimer sa volonté et sa vitalité. A condition de ne pas entraver la politique communautaire, évidemment prioritaire. Car nous refusons une Europe faible – à quoi servirait-elle ? –, une Europe divisée – où mènerait-elle ? –, une Europe à la démocratie mutilée – qui voudrait y vivre ?
LE COMITÉ D’ACTION POUR UNE EUROPE DÉMOCRATIQUE
La méthode ? Il faut commencer par définir une politique pour l’Europe, puis bâtir, ensuite, les institutions qui servent cette politique. On a fait jusqu’à présent tout le contraire, et ça ne marche pas. Nous appelons donc à la création d’un comité d’action pour une Europe démocratique, dont le manifeste, L’Espoir européen, défend le projet alternatif que l’on vient d’esquisser. Il vise à mobiliser les citoyens pour que ceux-ci entraînent leurs dirigeants à prendre enfin les mesures radicales que requièrent à la fois les ravages de la crise, l’épuisement des démocraties nationales, la faiblesse de l’Union et la mutation du monde. La communauté démocratique européenne que l’on préconise sera créée au sein même de l’Union. Elle organisera la cohabitation des deux conceptions qui prédominent en Europe : ceux qui veulent la démocratie et l’efficacité et ceux qui veulent une Europe réduite à une vaste zone gérant sa seule économie. Les uns adopteront la communauté démocratique, librement, par la voie d’un référendum. Les autres resteront, tout aussi librement, dans l’Union actuelle, qui pourra encore s’élargir. Union large et communauté restreinte : ces deux mots résument les deux volets d’une politique européenne équilibrée et réaliste. Dans cette communauté démocratique, on a également prévu de donner à la société civile plus de responsabilités – confiées aux villes, aux régions et à leurs réseaux – ainsi qu’aux associations et aux fondations. Que les citoyens cessent d’être passifs, si on leur en donne les moyens : c’est aussi cela la démocratie.
La crise a donc révélé aux peuples la formidable mutation que connaît le monde aujourd’hui, qui à la fois crée des pôles de puissance et se fractionne en Etats isolés et déclinants, vainement attachés aux symboles d’une indépendance vidée de sa substance. L’Europe doit désormais construire et proposer au monde le modèle d’une communauté pacifique, où se conjuguent puissance et liberté, pour dominer cette mutation générale au lieu de la subir. Comment procéder ?
L’INITIATIVE FRANCO-ALLEMANDE
Il appartient à la France et à l’Allemagne, en liaison et en accord avec les pays de la zone euro, de prendre sans délai, conjointement, l’initiative que l’Europe attend : offrir à tous les peuples de l’Union le remède à une crise qui n’est pas seulement un accident dévastateur, mais la révélation d’un monde qui s’achève. Donner donc à ces peuples le choix de créer la communauté démocratique, avec sa politique et ses institutions. Qui d’autre aujourd’hui que le président français et la chancelière allemande, avec leurs collègues de la zone euro, peut adapter l’Europe au monde et redonner un sens à notre histoire ?
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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