Par Dominique Lecourt, secrétaire général de l’Institut Diderot, fonds de dotation pour le développement de l’économie sociale (LE MONDE, 06/04/10):
L’article publié par Le Monde daté du vendredi 26 mars sous le titre “Les climato-sceptiques américains à l’assaut des écoles” laisse rêveur un lecteur non prévenu. Les “climato-sceptiques” y apparaissent comme des émules des créationnistes hostiles à la théorie darwinienne de l’évolution. Une expression suffit à faire le lien : “traitement équilibré”. De fait, les “créationnistes scientifiques” américains font pression depuis plus de vingt ans pour que l’enseignement de la biologie fasse place à une version du récit biblique de la Création comme à une hypothèse scientifique concurrente de la théorie de la sélection naturelle. Nombreux sont les Etats où les militants ont réussi, appuyés sur des associations de parents d’élèves, à faire adopter des dispositions en faveur de “ce traitement équilibré”, arguant de ce que l’évolution n’est qu’“une théorie” et non pas un fait.
Les auteurs de l’article font état d’une offensive qui, disent-ils, “rappelle celle des créationnistes”. Pourtant, les deux controverses (évolutionniste et climatique) n’ont rien à voir. Dans le cas de la théorie de l’évolution, c’est le socle intellectuel de la biologie contemporaine qui est visé au bénéfice d’une version du dogme de la Création. La campagne en faveur de l’enseignement de l’Intelligent Design dans les écoles, plus subtile que le créationnisme des années 80, se donne le même objectif. Ce que les auteurs de l’article appellent la “question climatique” n’a pas une telle portée épistémologique. La climatologie est une science récente et composite. Les bases des sciences physiques contemporaines ne sont pas menacées. L’essentiel de la controverse ne porte au demeurant même pas sur la réalité du réchauffement de la planète. Il s’agit d’une hypothèse scientifique largement admise fondée sur un faisceau d’observations et de calculs même si elle mérite visiblement discussion. Et ce n’est pas le nombre des chercheurs favorables à cette hypothèse qui est de nature à la transmuer en “fait avéré” (le fameux consensus du GIEC) ; pas plus que le nombre de ceux qui la rejettent ne saurait l’invalider.
La question autour de laquelle se développe la “guerre du climat” est celle de la part que prennent les activités humaines à ce réchauffement, supposant qu’il soit effectif. Accessoirement, elle est celle d’estimer l’ampleur et la vitesse prévisible d’un processus qui, dit-on, mènerait l’humanité à la catastrophe de par sa propre faute. On ne saurait que donner raison à ce professeur de SVT qui souligne la difficulté qu’il y a à enseigner dans les classes un sujet aussi “complexe, politique et médiatisé”. Les auteurs de l’article ne se satisfont pourtant visiblement pas de sa prudence et de ses scrupules. Ils trouvent “un peu lisse” la démarche des enseignants français. Ils leur demandent de “s’engager”. Cet engagement n’est pas exactement “l’engagement rationaliste” que Gaston Bachelard appelait autrefois de ses vœux, mais celui de militants qui rejoindraient la position des “réchauffistes” défendue par l’American Association for the Advancement of Science et la revue Science. Serait-ce “discréditer la science” que de refuser un tel enrôlement, de récuser l’argument d’autorité et de faire valoir les droits du doute ? On commence à savoir aujourd’hui ce que valait le consensus du GIEC. Les ruses, les tricheries et les pressions au prix desquelles il a été obtenu et maintenu. Pourquoi vouloir à tout prix que l’apocalypse soit pour demain ? Quelle outrecuidance d’accorder à l’homme le pouvoir absolu de modifier la nature à sa guise, transmuant le rêve généreux et naïf des Lumières en cauchemar catastrophiste ! Appuyer sur l’autorité d’une science de la nature, une thèse métaphysique et idéologique qui se traduit bientôt par des mesures pratiques concrètes, économiques, fiscales, morales et politiques, visant à modifier le comportement des êtres humains par une saine épouvante, telle est la démarche des “réchauffistes” ! Défendez cette thèse sur l’avenir du climat, vous serez dans le vrai, et vous prendrez de surcroît rang parmi les sauveurs de l’humanité. L’intolérance réchauffiste ne va pas sans messianisme. On peut vraiment se demander qui, des sceptiques ou des réchauffistes, sont les “créationnistes” ?
Fuente: Bitácora Almendrón. Tribuna Libre © Miguel Moliné Escalona
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