Por Safet Kryemadhi, historien à la Haute école libre de Bruxelles (LE MONDE, 12/08/08):
Le sommet de l’OTAN à Bucarest, en avril, avait différé les candidatures de l’Ukraine et de la Géorgie à rejoindre le plan d’action préalable à l’adhésion. Plusieurs pays, menés par la France et l’Allemagne, inquiets de la réaction russe, s’étaient opposés à la volonté américaine favorable à Kiev et Tbilissi en invoquant la fragilité de ces nouvelles démocraties. Moscou avait en effet prévenu que l’entrée de ces deux pays dans l’Alliance euro-atlantique “serait une grande erreur stratégique qui aurait les conséquences les plus sérieuses pour la sécurité en Europe”.
L’avertissement a pris la forme d’une guerre ouverte dont l’Ossétie du Sud est le prétexte et le déclencheur. Cette épine dans le territoire géorgien (3 900 km2 pour 75 000 habitants) est, avec l’Abkhazie sécessionniste, un instrument de déstabilisation permanent de la petite république caucasienne de 70 000 km2. Pour rappel, les Ossètes ont toujours été loyaux et fidèles à Moscou depuis la conquête tsariste au XIXe siècle.
Staline, dont la mère était ossète, voyait dans la création de cette région, autonome en 1922, un moyen d’arrimer la Géorgie récalcitrante au pouvoir bolchevik. C’est aussi à Mozdok, dans le territoire russe d’Ossétie du Nord qu’est installé l’état-major des forces russes chargées de mettre au pas la Tchétchénie rebelle, pour laquelle Vladimir Poutine n’a pas eu la même sollicitude.
Les régions séparatistes d’Abkhazie où stationnent 2 500 soldats russes et d’Adjarie amputent encore Tbilissi des deux tiers de sa façade maritime sur la mer Noire et de ses deux principaux ports (Soukhoumi et Batoum). Durant ces dernières années, les sujets de tensions et les escarmouches avec la Géorgie se sont succédé. Tbilissi était accusée de ne pas surveiller suffisamment les gorges sauvages du Pankissi par où passaient matériel militaire et partisans tchétchènes. Contrainte d’abandonner ses bases militaires en Géorgie, dont les deux dernières devaient être évacuées à la fin de cette année, Moscou a enfin perdu son interlocuteur privilégié après la “révolution des roses” de décembre 2003. Le président démissionnaire Edouard Chevardnadze avait été le dernier ministre des affaires étrangères de l’URSS et en comprenait donc parfaitement la grammaire. Surtout, la construction de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (en Turquie), entré en activité en mai 2005 et chargé d’acheminer le pétrole du Caucase vers la Méditerranée en évitant l’Arménie, a représenté un véritable affront à la stratégie énergétique russe dans l’“étranger proche” de Moscou. Cela, malgré la multiplication des foyers de tensions et de guerre dans ce que l’expert américain Zbigniew Brzezinski nomme les “Balkans eurasiens”.
Car le tracé des nouvelles routes du gaz et du pétrole est au coeur de ce conflit rien moins qu’imprévisible. Possédant les plus grandes réserves mondiales de gaz (27 % du total), la Russie assure 40 % des importations européennes. La dépendance européenne croissante au gaz russe varie toutefois largement d’un pays à l’autre (Allemagne 43 %, France 26 %, Italie 30 %, et de presque 85 à 100 % pour certains des nouveaux Etats membres). Moscou joue habilement de ce facteur qui entrave une politique énergétique commune des pays de l’Union européenne.
La Russie a en effet programmé le redéploiement de son réseau de distribution gazier à destination de l’Europe. Le gazoduc Northstream (partenariat Gazprom-BASF-Ruhrgaz) reliera la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique en évitant ainsi les Etats baltes et la Pologne. Le gazoduc Southstream, auquel participe le géant italien ENI, traversera la mer Noire pour atteindre la Bulgarie et se scinder en deux tronçons. C’est une riposte directe au projet euro-américain Nabucco, qui partirait d’Erzurum (Turquie), en communication avec les gazoducs de Géorgie et d’Iran, vers la Bulgarie et l’Europe centrale. Ces deux itinéraires maritimes enclaveraient en même temps l’Ukraine, noeud de l’ancien réseau de distribution soviétique, afin de peser sur les tentations atlantistes de Kiev.
Vladimir Poutine avait piloté pendant ses années au Kremlin une rude mise au pas des oligarques et une concentration des grands groupes gazier et pétrolier russes. Ils sont désormais en ordre de bataille et servent une politique extérieure de retour à la puissance. Privilégiant les accords bilatéraux, Vladimir Poutine sape insensiblement le partenariat énergétique européen. Les premières réactions diplomatiques à la guerre avec la Géorgie illustrent l’éparpillement européen. Il ne faut pas désespérer Moscou, semble-t-on signifier.
Le premier ministre russe poursuit résolument avec les moyens militaires les objectifs géopolitiques et énergétiques fixés par l’ancien président russe. Pour le malheur des peuples du Caucase.
Le sommet de l’OTAN à Bucarest, en avril, avait différé les candidatures de l’Ukraine et de la Géorgie à rejoindre le plan d’action préalable à l’adhésion. Plusieurs pays, menés par la France et l’Allemagne, inquiets de la réaction russe, s’étaient opposés à la volonté américaine favorable à Kiev et Tbilissi en invoquant la fragilité de ces nouvelles démocraties. Moscou avait en effet prévenu que l’entrée de ces deux pays dans l’Alliance euro-atlantique “serait une grande erreur stratégique qui aurait les conséquences les plus sérieuses pour la sécurité en Europe”.
L’avertissement a pris la forme d’une guerre ouverte dont l’Ossétie du Sud est le prétexte et le déclencheur. Cette épine dans le territoire géorgien (3 900 km2 pour 75 000 habitants) est, avec l’Abkhazie sécessionniste, un instrument de déstabilisation permanent de la petite république caucasienne de 70 000 km2. Pour rappel, les Ossètes ont toujours été loyaux et fidèles à Moscou depuis la conquête tsariste au XIXe siècle.
Staline, dont la mère était ossète, voyait dans la création de cette région, autonome en 1922, un moyen d’arrimer la Géorgie récalcitrante au pouvoir bolchevik. C’est aussi à Mozdok, dans le territoire russe d’Ossétie du Nord qu’est installé l’état-major des forces russes chargées de mettre au pas la Tchétchénie rebelle, pour laquelle Vladimir Poutine n’a pas eu la même sollicitude.
Les régions séparatistes d’Abkhazie où stationnent 2 500 soldats russes et d’Adjarie amputent encore Tbilissi des deux tiers de sa façade maritime sur la mer Noire et de ses deux principaux ports (Soukhoumi et Batoum). Durant ces dernières années, les sujets de tensions et les escarmouches avec la Géorgie se sont succédé. Tbilissi était accusée de ne pas surveiller suffisamment les gorges sauvages du Pankissi par où passaient matériel militaire et partisans tchétchènes. Contrainte d’abandonner ses bases militaires en Géorgie, dont les deux dernières devaient être évacuées à la fin de cette année, Moscou a enfin perdu son interlocuteur privilégié après la “révolution des roses” de décembre 2003. Le président démissionnaire Edouard Chevardnadze avait été le dernier ministre des affaires étrangères de l’URSS et en comprenait donc parfaitement la grammaire. Surtout, la construction de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (en Turquie), entré en activité en mai 2005 et chargé d’acheminer le pétrole du Caucase vers la Méditerranée en évitant l’Arménie, a représenté un véritable affront à la stratégie énergétique russe dans l’“étranger proche” de Moscou. Cela, malgré la multiplication des foyers de tensions et de guerre dans ce que l’expert américain Zbigniew Brzezinski nomme les “Balkans eurasiens”.
Car le tracé des nouvelles routes du gaz et du pétrole est au coeur de ce conflit rien moins qu’imprévisible. Possédant les plus grandes réserves mondiales de gaz (27 % du total), la Russie assure 40 % des importations européennes. La dépendance européenne croissante au gaz russe varie toutefois largement d’un pays à l’autre (Allemagne 43 %, France 26 %, Italie 30 %, et de presque 85 à 100 % pour certains des nouveaux Etats membres). Moscou joue habilement de ce facteur qui entrave une politique énergétique commune des pays de l’Union européenne.
La Russie a en effet programmé le redéploiement de son réseau de distribution gazier à destination de l’Europe. Le gazoduc Northstream (partenariat Gazprom-BASF-Ruhrgaz) reliera la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique en évitant ainsi les Etats baltes et la Pologne. Le gazoduc Southstream, auquel participe le géant italien ENI, traversera la mer Noire pour atteindre la Bulgarie et se scinder en deux tronçons. C’est une riposte directe au projet euro-américain Nabucco, qui partirait d’Erzurum (Turquie), en communication avec les gazoducs de Géorgie et d’Iran, vers la Bulgarie et l’Europe centrale. Ces deux itinéraires maritimes enclaveraient en même temps l’Ukraine, noeud de l’ancien réseau de distribution soviétique, afin de peser sur les tentations atlantistes de Kiev.
Vladimir Poutine avait piloté pendant ses années au Kremlin une rude mise au pas des oligarques et une concentration des grands groupes gazier et pétrolier russes. Ils sont désormais en ordre de bataille et servent une politique extérieure de retour à la puissance. Privilégiant les accords bilatéraux, Vladimir Poutine sape insensiblement le partenariat énergétique européen. Les premières réactions diplomatiques à la guerre avec la Géorgie illustrent l’éparpillement européen. Il ne faut pas désespérer Moscou, semble-t-on signifier.
Le premier ministre russe poursuit résolument avec les moyens militaires les objectifs géopolitiques et énergétiques fixés par l’ancien président russe. Pour le malheur des peuples du Caucase.
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