Par Bernard Guetta, ancien correspondant du Monde à Moscou, chroniqueur à France Inter et à Libération, membre du conseil de surveillance de Libération (LIBERATION, 14/08/08):
Mikhaïl Saakachvili n’est pas le seul coupable. Ses responsabilités sont immenses. Il s’est lancé à la reconquête de l’Ossétie sécessionniste sans penser le coup d’après, sur un coup de dés,sans être certain que l’Occident l’appuierait face à l’inéluctable réaction russe. Il a créé une crise internationale de première ampleur et mené son peuple à une défaite assurée, mais la profondeur même de cette aberration dit qu’elle ne peut pas relever de sa seule erreur.
Ces trois jours de guerre, ces destructions, ces morts inutiles sont aussi le fruit de l’incohérence de l’Europe et des Etats-Unis face à la Russie, de leur constante volonté de la contrer sans en avoir les moyens ni, surtout, de vraies raisons de le faire. Dans ce conflit, le problème de fond est que, depuis qu’elle a rebâti un Etat, repris le contrôle de ses matières premières et rompu avec l’alignement diplomatique d’Eltsine sur les Etats-Unis, la Russie inquiète Washington et l’Europe centrale.
L’Amérique craint que son ancien adversaire de la guerre froide ne redevienne un rival, fort de son immensité, de son pétrole, de son réarmement et, donc, de sa capacité à peser sur les affaires du monde. Malgré leur entrée dans l’Union européenne, les Etats baltes et les anciens satellites soviétiques vivent, eux, dans l’angoisse d’un retour de l’impérialisme russe et, surtout, d’une alliance entre la «vieille Europe» et le Kremlin dont ils se voient déjà victimes, sacrifiés sur l’autel énergétique par Paris, Rome et Berlin. Nourries par la brutalité avec laquelle Poutine a brisé la rébellion tchétchène et imposé une régression autoritaire à son pays, ces peurs ont conduit l’Alliance atlantique à vouloir s’étendre jusqu’aux frontières russes en intégrant l’Ukraine et la Géorgie.
L’Allemagne et la France ont freiné le mouvement au printemps, au sommet de l’Otan, mais ce projet reste sur la table et c’est dans ce contexte que Mikhaïl Saakachvili a cru pouvoir forcer le destin. Il voyait déjà les Occidentaux voler à son secours, en brandissant la menace d’une intervention militaire ou de représailles économiques, mais ils l’ont laissé seul face aux Russes. Les Américains n’ont pas bougé. La France s’est posée en médiateur, au nom de l’Union dont elle assure la présidence, et l’on peut maintenant tirer deux conclusions opposées de cette crise.
La première consisterait à voir dans la foudroyante efficacité avec laquelle la Russie a mis la Géorgie à genoux la preuve qu’il faut bel et bien encercler le plus grand pays du monde en élargissant l’Otan au plus vite. C’est le sentiment dominant en Europe centrale. Il s’exprime également aux Etats-Unis malgré la prudence observée par Bush mais peut-on s’étonner, et s’indigner, que l’ours sorte ses griffes lorsqu’on lui mord les mollets ? La Russie savait que si elle se retirait d’Ossétie du Sud sans réagir, elle ouvrirait immédiatement les portes de l’Otan à ses voisins ukrainien et géorgien, ce dont elle ne veut pas plus que les Etats-Unis ne voudraient d’une adhésion du Mexique et du Canada à un pacte militaire dominé par Moscou. La riposte russe a été d’autant plus immédiate que la Tchétchénie et les républiques russes du Caucase du Nord auraient vite posé des problèmes au Kremlin s’il n’avait pas montré sa force. C’est l’embrasement d’une région charnière qui menaçait non seulement la Russie, mais aussi l’Europe et le monde.
Ensuite, si cette crise a prouvé une chose, c’est que la politique russe de l’Alliance atlantique n’est ni tenable ni justifiée. Elle n’est pas tenable car les Occidentaux - on vient de le voir - ont trop besoin de la Russie pour se l’aliéner, beaucoup moins en raison de son pétrole que des défis géopolitiques posés par le monde arabo-musulman et, bientôt, la Chine. En ce début de siècle, l’Occident a besoin du soutien russe, d’un front commun sur la scène internationale qui ne sera pas facile à articuler mais auquel la Russie aspire car ses élites se sentent européennes et qu’elle est au contact direct des troubles de l’Islam et de l’affirmation chinoise.
C’est cette entente qu’il faut aujourd’hui bâtir, en commençant par réunir les quatre conditions d’un règlement de la crise actuelle : l’ouverture d’une perspective d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Union européenne ; l’abandon de l’élargissement de l’Otan ; le retrait des troupes russes de tout le territoire géorgien et l’octroi à l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud d’une pleine souveraineté dans le cadre d’une Géorgie fédérale. Le reste n’est que course à l’abîme.
Mikhaïl Saakachvili n’est pas le seul coupable. Ses responsabilités sont immenses. Il s’est lancé à la reconquête de l’Ossétie sécessionniste sans penser le coup d’après, sur un coup de dés,sans être certain que l’Occident l’appuierait face à l’inéluctable réaction russe. Il a créé une crise internationale de première ampleur et mené son peuple à une défaite assurée, mais la profondeur même de cette aberration dit qu’elle ne peut pas relever de sa seule erreur.
Ces trois jours de guerre, ces destructions, ces morts inutiles sont aussi le fruit de l’incohérence de l’Europe et des Etats-Unis face à la Russie, de leur constante volonté de la contrer sans en avoir les moyens ni, surtout, de vraies raisons de le faire. Dans ce conflit, le problème de fond est que, depuis qu’elle a rebâti un Etat, repris le contrôle de ses matières premières et rompu avec l’alignement diplomatique d’Eltsine sur les Etats-Unis, la Russie inquiète Washington et l’Europe centrale.
L’Amérique craint que son ancien adversaire de la guerre froide ne redevienne un rival, fort de son immensité, de son pétrole, de son réarmement et, donc, de sa capacité à peser sur les affaires du monde. Malgré leur entrée dans l’Union européenne, les Etats baltes et les anciens satellites soviétiques vivent, eux, dans l’angoisse d’un retour de l’impérialisme russe et, surtout, d’une alliance entre la «vieille Europe» et le Kremlin dont ils se voient déjà victimes, sacrifiés sur l’autel énergétique par Paris, Rome et Berlin. Nourries par la brutalité avec laquelle Poutine a brisé la rébellion tchétchène et imposé une régression autoritaire à son pays, ces peurs ont conduit l’Alliance atlantique à vouloir s’étendre jusqu’aux frontières russes en intégrant l’Ukraine et la Géorgie.
L’Allemagne et la France ont freiné le mouvement au printemps, au sommet de l’Otan, mais ce projet reste sur la table et c’est dans ce contexte que Mikhaïl Saakachvili a cru pouvoir forcer le destin. Il voyait déjà les Occidentaux voler à son secours, en brandissant la menace d’une intervention militaire ou de représailles économiques, mais ils l’ont laissé seul face aux Russes. Les Américains n’ont pas bougé. La France s’est posée en médiateur, au nom de l’Union dont elle assure la présidence, et l’on peut maintenant tirer deux conclusions opposées de cette crise.
La première consisterait à voir dans la foudroyante efficacité avec laquelle la Russie a mis la Géorgie à genoux la preuve qu’il faut bel et bien encercler le plus grand pays du monde en élargissant l’Otan au plus vite. C’est le sentiment dominant en Europe centrale. Il s’exprime également aux Etats-Unis malgré la prudence observée par Bush mais peut-on s’étonner, et s’indigner, que l’ours sorte ses griffes lorsqu’on lui mord les mollets ? La Russie savait que si elle se retirait d’Ossétie du Sud sans réagir, elle ouvrirait immédiatement les portes de l’Otan à ses voisins ukrainien et géorgien, ce dont elle ne veut pas plus que les Etats-Unis ne voudraient d’une adhésion du Mexique et du Canada à un pacte militaire dominé par Moscou. La riposte russe a été d’autant plus immédiate que la Tchétchénie et les républiques russes du Caucase du Nord auraient vite posé des problèmes au Kremlin s’il n’avait pas montré sa force. C’est l’embrasement d’une région charnière qui menaçait non seulement la Russie, mais aussi l’Europe et le monde.
Ensuite, si cette crise a prouvé une chose, c’est que la politique russe de l’Alliance atlantique n’est ni tenable ni justifiée. Elle n’est pas tenable car les Occidentaux - on vient de le voir - ont trop besoin de la Russie pour se l’aliéner, beaucoup moins en raison de son pétrole que des défis géopolitiques posés par le monde arabo-musulman et, bientôt, la Chine. En ce début de siècle, l’Occident a besoin du soutien russe, d’un front commun sur la scène internationale qui ne sera pas facile à articuler mais auquel la Russie aspire car ses élites se sentent européennes et qu’elle est au contact direct des troubles de l’Islam et de l’affirmation chinoise.
C’est cette entente qu’il faut aujourd’hui bâtir, en commençant par réunir les quatre conditions d’un règlement de la crise actuelle : l’ouverture d’une perspective d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Union européenne ; l’abandon de l’élargissement de l’Otan ; le retrait des troupes russes de tout le territoire géorgien et l’octroi à l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud d’une pleine souveraineté dans le cadre d’une Géorgie fédérale. Le reste n’est que course à l’abîme.
No hay comentarios.:
Publicar un comentario